Il y a des films que l'on mate juste pour avancer dans la filmographie d'un réalisateur qu'on apprécie, comme Park Chan-Wook. Sans raison apparente, on a peur de se trouver face à une oeuvre qui nous désarçonne trop et qu'on s'y ennuie. On le lance, on le suit gentiment, et puis c'est en terminant le visionnage qu'on se dit qu'on a vu un film sublime, de ceux qui ont beaucoup de mauvais points mais qui ont inexplicablement su devenir notre obsession du moment, ce truc qui ne veut pas nous lâcher. Thirst est ce film, et je ne m'attendais absolument pas à ce qu'il me marque autant.


Un prêtre qui devient vampire, c'est un paradoxe dérangeant. Est-ce parce que ça pervertit une figure censée être sacrée ou parce que cette allégorie du prédateur sexuel m'évoque les prêtres pédophiles ? En tout cas cette utilisation a ici peu de liens avec la religion. Oh, vous trouverez bien des symboles plus ou moins gros sur ce thème ainsi que la représentation christique du sauveur (très judicieuse vu le contraste entre les apparences et la nature du personnage), mais en dehors de ça il n'est guère question de christianisme ou de foi et j'ai fini par oublier vers la fin que le personnage principal était prêtre. Cela va surtout faire ressortir sa vertu initiale extrême, elle qui va naturellement être mise à mal par sa nouvelle condition de prédateur. Un prédateur avec une conscience, mais un prédateur tout de même.


La structure narrative ne présente pas réellement "une" histoire, elle va surtout montrer la vie au long cours du prêtre avec ses hauts et ses bas, avec en fil rouge une intrigue apparemment empruntée à Thérèse Raquin (ne l'ayant pas lu -oui, je sais- je dois faire confiance aux autres critiques pour cette affirmation). Et cette intrigue montre une des liaisons les plus passionnelles que j'ai pu voir. Le mythe vampirique contribue beaucoup à rendre cette liaison dévorante, et l'actrice Kim Ok-Vin est terrible. Elle transpire l'envie de croquer les plaisirs de la vie, de devenir une droguée de liberté. C'est une jouisseuse triomphante, d'un érotisme submergeant. Elle réussit l'exploit insolent de faire de l'ombre à Song Kang-Ho. Leurs ébats sexuels pourront paraître longs, mais ils me paraissent nécessaires pour transmettre leur passion sauvage.


C'est un film sur les pulsions, pulsions de vie ou de mort, et c'est sans doute pour ça que son scénario va parfois un peu à droite à gauche avec quelques coups de mou. Avec ce genre de thème tout est exacerbé, ce qui colle bien au jeu particulier des coréens et rappelle par moments une forme de romantisme grandiloquent. Cela passe par des scènes magnifiques, en particulier la fin qui dure suffisamment longtemps pour maximiser son impact et son émotion. Cela passe aussi par un gros manque de retenue pour pas mal de scènes. Les accès de violence sont parfois gratuits, ils sont d'ailleurs parfois esthétisés d'une manière qui ne se justifiait pas, comme si on voulait rendre l'horreur belle, ce qui me paraîtrait de mauvais aloi. Il y a des débordements qui confinent au ridicule, ainsi que des notes d'humour que j'ai bien aimées. Park Chan-Wook en fait souvent trop, mais au moins il le fait avec une excellente réalisation. Et il est quand même capable de se calmer quand il faut, comme lors d'un dîner familial que je ne suis pas prêt d'oublier.


Le film est sans doute trop violent, trop sexuel, trop excessif. Mais ses excès font aussi sa force et ils s'effacent devant des moments de grâce. Un jeu d'équilibriste entre la justesse et la sauvagerie, en écho avec ce que traverse ce prêtre qui ne peut quitter un extrême sans virer vers un autre. On pourra ne pas apprécier le film, ne pas aimer son découpage ou le trouver de mauvais goût. Mais on pourra aussi être sensible à son goût sucré-salé. Et moi j'adore le porc au caramel.

thetchaff
9
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le 24 mars 2016

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thetchaff

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