Aprés Thor Le Monde des Ténébres le choix atypique du néo-zélandais Taika Waititi pour concevoir le troisième volet Thor : Ragnarok s’était avéré plus que payant revigorant une marque si ce n’est atone, clairement en deçà artistiquement des Iron-Man ou Captain America. Avec un humour ravageur parfois aux limites de la parodie qui devient le moteur de l’action, le film est un succès critique et commercial si bien que le dieu du Tonnerre se retrouve le premier personnage Marvel a avoir droit à un quatrième volet de ses aventures en solo avec toujours Waititi aux commandes. Après avoir pioché pour Ragnarok dans les histoires de Jack Kirby, Walt Simonson sur Thor et dans le récit Planet Hulk , Il s’inspire avec sa coscénariste Jennifer Kaytin Robinson pour ce nouvel opus, d’éléments d’histoires du scénariste Jason Aaron sur la bande dessinée en particulier celle qui voit Jane Foster prendre le titre et les pouvoirs de Thor alors qu’elle souffre d’un cancer qu’il mêle à la première histoire du scénariste sur le titre où Thor doit empêcher un vilain dénommé Gorr le Boucher des Dieux d’éliminer tous les dieux de divers panthéons cosmiques. Natalie Portman effectue ainsi son retour dans le MCU et retrouve Chris Hemsworth et Tessa Thompson (Creed) qui reprend son rôle de Valkyrie alors que l’ancien Batman de Christopher Nolan, Christian Bale , endosse le rôle du vilain Gorr. Taika Waititi a t’il récidivé avec ce nouvel opus ?


Une scène du film (présente dans la bande-annonce donc pas de spoilers ici ) illustre parfaitement Love and Thunder : Zeus incarné par Russell Crowe déshabille d’une pichenette mal dosée Thor qui lui réponds « Tu en as fait trop (You flicked too hard! en VO) et c’est exactement ce que Waititi a fait à son film , il a poussé trop loin et laisse Thor à poil…


L’ambition affichée par Taika Waititi était de faire de Thor : Love and Thunder, à l’image de la musique de Gun’s n Roses qui l’illustre, un film à la fois « metal » et éperdument romantique, à la vision du produit fini on peut dire qu’aucun de ces objectifs n’est pas atteint. Le néo-zélandais n’est pas le premier réalisateur grisé par un succès, succès qui doit beaucoup à son approche idiosyncratique, qui tombe dans le piège de tenter de répliquer à tout prix ce succès en poussant les curseurs de sa formule au maximum. Le problème est que Thor : Ragnarok reposait sur un équilibre délicat entre l’action super-héroïque et un humour parfois à la limite de la parodie, équilibre qui se retrouve totalement bouleversé ici. Après une première séquence plutôt réussie qui présente l’origine du vilain Gorr, Thor : Love and Thunder bascule très vite dans la comédie loufoque omniprésente qui , combinée à un rythme qui confond vitesse et précipitation, prive ses enjeux dramatiques de la gravité nécessaire. Les films Marvel Studios ne sont certes jamais des adaptations littérales des histoires des comics mais l’intrigue de Jason Aaron autour de Jane Foster constituait un terreau dramatique fertile pour bâtir des moments poignants. Hélas son aspect le plus marquant, le fait que la transformation de Jane en Thor annule les effets de sa chimiothérapie et que chaque acte héroïque la rapproche donc de la mort est sous-exploité, en tout cas trop tard pour que sa résolution ait l’impact nécessaire. Le personnage porté par une Natalie Portman qui lui apporte par sa seule présence un supplément d’âme est réduit dans la première partie du film à un rôle de faire valoir comique, celui de l’ex encombrante dans une parodie de rom-com. C’est parce qu’ils apparaissaient saillants au milieu du délire que les moments dramatiques de Thor : Ragnarok étaient réussis, ils se noient ici dans un comique si systématique qu’il en devient étouffant et les empêche d’avoir une véritable portée dramatique. Bien qu’il ait sa disposition deux intrigues solides, celle liée à Jane Foster et la croisade de Gorr contre les dieux, le scénario de Thor : Love and Thunder est plat et sans enjeux préférant se perdre dans un récit à la construction bancale, enchainant des séquences aux liens ténus dont une chasse au McGuffin qui s’avère sans conséquences sur le reste de l’histoire. Le massacre des diverses divinités aura lieu pour l’essentiel hors écran, Waititi préfère utiliser le personnage de Gorr comme le croquemitaine d’un conte horrifique Burtonien. Le film est d’ailleurs parasité jusque dans son climax par une troupe d’enfants agaçants qui donneront des PTSD à ceux d’entre vous qui ont découverts Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre en salles dans les années quatre-vingts .



Là où Taika Waititi parvenait dans Thor : Ragnarok à marier sa sensibilité absurde avec les aspects les plus baroques de l’univers Marvel sans le ridiculiser la plupart des gags apparaissent ici forcés, racoleurs ou décalquent à l’identique des moments de Thor : Ragnarok perdant ainsi de leur fraicheur. Certains sont malgré tout efficaces comme les deux chèvres hurlantes que Thor reçoit en cadeau et qui trainent son drakkar spatial mais on peut dire sans trahir de secret que les meilleurs moments figurent dans les bandes annonces du film ce qui est toujours un mauvais signe. Symptôme d’un réalisateur en pleine crise d’égocentrisme la présence de Korg la créature de pierre qui accompagne Thor dans ses aventures et dont il assure le doublage l’affublant d’une voix fluette et d’un fort accent Néo-zélandais, amusante dans Thor : Ragnarok (ses remarques au premier degré comptaient parmi les moments les plus drôles du film) devient horripilante dans Love and Thunder. Si le MCU répond à une logique industrielle et une ligne éditoriale qui en fixe la direction, Kevin Feige a toujours été assez malin pour laisser s’exprimer des sensibilités particulières. Peut-être a t-il laissé cette fois trop de latitude à son poulain oscarisé. Cette Phase 4 de l’expérience de narration unique qu’est le MCU pâtit de l’absence d’une direction claire.



Il y avait quelque chose de réjouissant à voir Thor : Ragnarok tirer son inspiration visuelle du côté des comics des années 70 Post Kirby et de la nébuleuse de décalques et de superproductions qui avaient suivi dans les années 70 le succès de Star Wars (Flash Gordon, Krull, Star Crash) et consacrer ses immenses moyens à émuler le style de ces productions. Ici le charme pop s’est évanoui, l’aspect kitsch parfois même bon marché n’a rien de volontaire. La direction artistique du film pourtant signée par Nigel Phelps (Alien la résurrection, Troie, The Island) un des meilleurs dans son domaine spécialiste des mégalopoles futuristes – il avait bâti le Mega-City One du Judge Dredd avec Stallone et participé à la création du Gotham du Batman de Tim Burton aux cotés de son mentor Anton Furst – n’est pas réellement inventive. Seule la visualisation d’Omnipotence City , une citadelle cosmique flottante, où tous les dieux de l’univers se rassemblent , un concept tiré du run de Jason Aaron témoigne du talent de Phelps. Le reste du film est pauvre en partis pris visuels et artistiques forts, en dehors de quelques images marquantes comme la reproduction d’une case d’Essad Ribic ou certaines apparitions de Gorr. Thor : Love and Thunder est dépourvu de la dimension spectaculaire et épique qu’on peut attend d’un blockbuster à 185 millions de dollars : ses combats sont trop brefs , souvent dans des décors vides, parasités par un humour qui en désamorce les enjeux . La mise en scène de l’action malgré quelques plans à la composition spectaculaire manque de lisibilité le et son final manque terriblement d’ampleur. Sa générosité masquait habituellement les limites de la mise en scène de Taika Waititi , à qui on pardonnait le coté plat, elle apparait ici impersonnelle malgré quelques bonnes idées (les fractionnements et les reconstitutions de Mjolnir lors des batailles, le noir et blanc expressionniste dans le monde de Gorr). La photo de Barry Baz Idoine collaborateur de Craig Freiser (The Batman, Star Wars Rogue One) a qui il a succédé sur The Mandalorian est au mieux fonctionnelle. La qualité des effets visuels si on excepte quelques créatures ténébreuses convoquées par Gorr n’est pas à la hauteur d’un tel budget. Les costumes spéciaux signés Mayes C. Rubeo (Avatar, Warcraft, Jojo Rabbit) sont réussis. Le montage est trop erratique pour donner une fluidité à l’ensemble. De manière générale, Thor : Love and Thunder confirme après d’autres films de le phase 4 une perte de ce qui faisait la force de Marvel Studios auparavant un « contrôle qualité » sur tous les aspects de la production qui s’est beaucoup relâché, peut-être dû à la multiplication des productions ciné et des séries Disney +.



La personnalité de la version MCU de Thor a toujours été plus proche de celle du Hercule des Marvel comics que de celle, plus sérieuse, qu’il y arbore (ce qui risque de poser des problèmes à l’avenir mais chut) . Cette version « adolescente » du personnage convient à la sensibilité d’un Chris Hemsworth qui arbore ici le physique le plus impressionnant de sa carrière mais cette approche, même si le comédien est toujours enthousiaste, est ici dans une impasse. Là où le scénario du précédent l’obligeait à murir, lui faisait prendre une décision inattendue qui montrait une vraie évolution dramatique du personnage qui s’était poursuivie dans Avengers Infinity War, sa caractérisation fait ici du surplace et fini par saper (cela devient un thème récurrent de cette critique) malgré l’abattage de l’acteur, les moment plus émouvants.


Apporter une dimension comique à un héros surpuissant comme Thor contribue à l’humaniser mais ici le Dieu du tonnerre devenu une sorte de Leslie Nielsen de l’espace cesse de remplir sa fonction de héros, fonction qu’on peut juger essentielle dans un film de super-héros !


Dans le rôle du méchant Christian Bale construit son personnage « de l’extérieur », visuellement lui donnant une silhouette entre le Nosferatu de Murnau et les créatures des clips de Chris Cunningham, son jeu oscille entre la pantomime sinistre et le kitsch. En dépit de ses efforts et de motivations convaincantes (bien qu’on soit encore face au cliché du « méchant qui est méchant mais qui n’a pas tout à fait tort ») son Gorr n’imprime pas et n’incarne jamais une menace convaincante pour planer en permanence sur le film. Du quatuor de tète d’affiche, Natalie Portman est sans doute celle qui tire le maximum de son personnage. Elle est drôle, émouvante et crédible dans l’action. Le personnage de Tessa Thompson (Creed), Valkyrie reine du nouvel Asgard devenu une attraction touristique (une des rares bonnes idées du film) est sacrifié, elle n’a aucune arche narrative propre. Le cas de Russell Crowe est assez paradoxal, son personnage de Zeus, ici Dieu vaguement échangiste avec une caricature d’accent grec, est ridicule et pourtant l’acteur de Gladiator parvient à garder sa dignité et ne laisse pas un mauvais souvenir. Des personnages secondaires qui entouraient Thor dans les précédents volets seule Lady Sif fait une fugace apparition, au même titre que Les Gardiens de la Galaxie au complet ce qui fait dire comme un chroniqueur de football qu’ils n’ont pas assez de temps de jeu pour les juger même si Chris Pratt fonctionne bien dans sa fonction de clown blanc face à un Thor en Auguste.


Conclusion : Grisé par le succès de Thor : Ragnarok Taika Waititi et Chris Hemsworth poussent Thor : Love And Thunder trop loin dans un burlesque paresseux passant à coté d’enjeux dramatiques traités bien trop tard et expédiés bien trop vite. Qui plus est le film semble avoir été tourné sans scénario cohérent. Reste quelques beaux visuels et ses chèvres hurlantes. Décevant.

PatriceSteibel
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le 12 juil. 2022

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PatriceSteibel

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