L’apocalypse nucléaire est l’un des grands fantasmes du cinéma, qui, comme tout art d’expression populaire, retranscrit les angoisses de son temps. En 1984, la BBC commande ce téléfilm qui sur bien des points reprend La Bombe de Peter Watkins, formidable faux documentaire sorti 20 ans plus tôt.
La bombe atomique est généralement dans la fiction le paroxysme dramatique, une fin après laquelle on ne voit rien, ou une menace qu’on va entreprendre d’éradiquer. Threads fonctionne totalement en contrepoint : par une esthétique documentaire, le film suit une famille banale dont la vie (une jeune fille tombe enceinte et décide donc de se marier) occupe les trois premiers quarts d’heure du récit, avec en toile de fond, via la presse ou la radio, des échos de plus en plus insistants sur l’actualité internationale.
De ce point de vue, Threads est le complément indispensable à l’autre chef d’œuvre sur la guerre nucléaire, Point Limite. Quand ce dernier se situe dans la War Room et montre les dirigeants face à ce terrible recours, Threads est filmé à hauteur d’individu, de citoyen. Les gens vivent avant de mourir, et ne sont pas de simples figurants sur la carte géopolitique internationale. Le spectateur suit les victimes, s’identifie et prend la mesure de ce que signifie la menace atomique.
Car le film se veut le plus informatif possible. S’il a recours à la fiction, c’est pour donner des noms et des visages aux victimes. Mais là où un film conventionnel aurait tout misé sur le pathos, Threads opte pour un traitement résolument documentaire. On insiste beaucoup sur l’organisation préventive, sur les mesures en vigueur (pour mieux montrer à quel point tout cela n’a plus grand sens après l’explosion), les messages diffusés à la population, avant de passer à la voix off et aux cartons prospectifs sur ce que serait l’hiver nucléaire. Cette froideur de ton, ce découpage abrupt est la grande force du film : parce qu’on donne du crédit aux chiffres avancés, l’illustration par les scénettes relève de la démonstration tout en prenant la chair de personnages auxquels on a pu s’attacher.
La prospective finit par s’emballer, et les ellipses se multiplient jusqu’à imaginer la décennies suivant les attaques : éveiller les consciences passe aussi par cette exploration minutieuse des conséquences sur les retombées, les radiations, et le retour à un âge quasiment médiéval du pays, jusqu’à un appauvrissement du langage et une société ou régnerait une loi de la jungle, mais devenue empoisonnée jusque dans son sol.
Par l’horreur, le désespoir et l’effroi, ces deux heures auront parfaitement illustré la fameuse phrase prononcée par l’une des manifestantes accusées d’être à la solde des russes :
You cannot win a nuclear war.
(7.5/10)