Tigre et Dragon par Wykydtron IV

Un truc est clair d'emblée : le film a cette indéniable classe que l'on trouve dans les films asiatiques. Plans larges et mouvements de caméra qui mettent en valeur les décors magistraux ; reconstitution géniale des environnements, le marché avec ses saltimbanques qu'on voit dans un coin d'image pendant pas plus de 5 secondes, la ville avec ses bâtiments gigantesques, ...
L'image est belle, et le travail sur le son est appliqué et délicat.
On retrouve dans la façon de s'exprimer des personnages, à la façon dont ils parlent tout simplement du maniement d'une épée, cette altesse issue d'une autre époque et d'un autre continent.
Les deux personnages principaux, Li Mu Bai et Yu Shu Lien, sont un duo plutôt qu'un couple, ne pouvant être ensemble par respect au frère de sang de Li qui est mort alors qu'il était fiancé à Yu. C'est le genre de valeur, qui frise l'absurde par ailleurs puisqu'ils s'aiment depuis des années, qu'on ne défendrait plus aujourd'hui.
Ca nous donne des protagonistes curieux, qui forment une entité asexué qui ne ressemblent pas à des héros, mais plutôt deux personnes dont on ne connaît pas la fonction réelle dans la vie, qui ont des rapports flous mais en tout cas distants, et qui semblent être juste là, prêts à aider ceux qui en ont besoin, plus qu'ils ne paraissent faire partie de l'intrigue, dans la première moitié du film du moins.
En réalité, le scénario se penche plus sur un autre personnage qu'ils croisent (avec backstory racontée via flashbacks), une jeune fille qui va bientôt se marier mais, bien qu'elle ne le dise pas explicitement, sûrement encore une fois à cause de l'époque dans laquelle elle vit, laisse entendre qu'elle le regrette car préfèrerait mener une vie d'aventures à l'image de Li et Yu.
J'ai bien apprécié le fait qu'on place l'histoire dans un certain contexte, dans une époque aux règles assez strictes, mais qu'on en montre l'envers, rien que par le fait que cette fille ne soit pas heureuse de se marier, alors que c'est ancré dans les mœurs de l'ère en laquelle elle vit.

C'est marrant, car on dirait que Tigre & Dragon se plie aux traditions, avec toute sa majesté qui est celle d'un âge perdu retranscrit en majorité par les films d'arts martiaux, et en même temps ce film détourne certains éléments de l'époque, voire s'en moque, comme dans cette scène où Jen raille ses adversaires aux noms à rallonge, genre "L'héron du Sud".
On peut voir au casting Cheng Pei-Pei, actrice reconnue du genre "Wu xia pian", qui jouait dans "L'hirondelle d'or", dans le rôle d'une méchante, qui se justifie du meurtre du maître de Li en disant qu'il ne voulait pas d'elle comme disciple mais la voulait dans sa couche. Certes, le personnage est plus tard confirmé comme étant vraiment méchant, mais le fait que cet acte pour lequel un des protagonistes veut se venger, semant un peu le doute (bien que ce ne soit pas exploité par la suite), ait une justification, est un apport considérable pour que le film ne se montre ni manichéen, ni trop classique.

Ca se voit dans les décors, les costumes, et les armes peu communes utilisées par les personnages : le film est bien renseigné sur l'époque qu'il décrit.
Concernant les armes, certaines à l'aspect très étrange, Tigre & Dragon ne paraît pas les utiliser comme par contrainte, mais au contraire, car j'ai trouvé bonne l'utilisation de la spécificité de chaque arme.
Dans les combats, je ne suis pas contre le fait que certains personnages aient le pouvoir d'être légers comme une plume, mais on sent beaucoup trop le filin effacé numériquement, on ressent trop une force venant du haut qui retient les personnages quand ils devraient redescendre. Ca m'a aussi un peu dérangé que les personnages touchent à peine le sol, au point qu'on croit qu'ils ne le font pas parfois ; en même temps, l'ampleur de leurs capacités n'est pas vraiment évidente, est-ce que leurs envols fonctionnent comme les sauts normaux, ou est-ce qu'ils peuvent décoller sans avoir à toucher le sol de temps en temps ? Bon, à force, j'ai accepté, et à force également, alors qu'au départ je trouvais ces cascades avec filins mal contrôlées, je m'y suis habitué.
En dehors de ça, je trouve l'élément fantastique très bien utilisé lors des combats, tout comme pour les armes, les qualités de chaque "pouvoir" sont tout aussi exploitées que les revers.
Moi qui me plaignais encore récemment des ralentis numériques dans Time and tide, ceux de Tigre & Dragon m'ont pas gêné, au contraire ils m'ont plu. Ils sont harmonieux, placés de façon sensée, et montés de sorte à très bien passer entre deux plans à vitesse normale, si bien que le ralenti paraît même la suite logique d'un mouvement du plan d'avant.
On sent la maîtrise dans ces moments très brefs, passés au ralenti, où l'on aperçoit un détail important : un signe de Wu Tang, un voile qui se soulève un court instant, de l'encre qui coule et que l'on voit à peine mais juste ce qu'il faut. Il y a une part de hasard, forcément, et on peut dire qu'Ang Lee a été chanceux.
J'ai été ébloui aussi par le combat dans les arbres, qui sur le papier doit se révéler très hasardeux, casse-gueule à réaliser, mais au final c'est vraiment réussi, j'ai trouvé ça limite poétique (ouais, j'ai peut-être une notion bizarre de la poésie).

Même les trucs très risqués, qui donnent un résultat que je n'aime pas, sont réussis dans Tigre & Dragon : ces CGI de bouts de lame balancés sur un personnage ; à un autre moment cette saute d'axe très curieuse qui fait finir un champ-contrechamp de telle façon qu'on croirait presque que les personnages se tournent le dos ...et pourtant, ça marche.
Il n'y a que la fin qui m'a plutôt déçu, qui repose sur une image très lyrique, et qui ne peut vraiment marcher au cinéma (ça m'a pas étonné d'apprendre au générique de fin que le film est adapté d'un livre).
En gros, un personnage se suicide, mais en fait non, et ça rend quelqu'un qui l'aime content. Ca ne passe qu'avec une écriture très figurée, ça.
Film très bien malgré tout, très classe surtout.