Marquant le début d'une occidentalisation des films wuxiapian et une réappropriation de ses codes par les studios américains - Tarantino et ses Kill Bill arrivent quelques années après - Tigre et Dragon pêche par des longueurs réellement dispensables. Mais cette lenteur dans le déroulement narratif est tout à l'honneur de Ang Lee, qui restitue ici la pensée chinoise avec brio dans tout ce qu'elle a de confucianiste, dont Li Mu Bai et Shu Lien incarne la philosophie. Le devoir, le fondement patriarcal de la société, la sobriété des passions sont la marque d'une pensée qui imprègne le film, et dont Jen tente de se libérer. La lenteur du film incarne ainsi cette pensée, et de même que Jen, dès la seconde partie du film, n'a de cesse de fuir cette société et ses codes, elle tente d'imprégner à l'oeuvre sa vitesse, la fougue dissimulée de son tempérament. Le film, tiraillé entre la nervosité de ses combats et le calme hypnotique de ses séquences plus posées, incarne cinématographiquement le combat incessant de deux modes de pensée, entre une ancienne société (les deux maîtres qui courent littéralement après Jen - et le film - pour tenter de la rattraper) et un esprit jeune, nouveau, animé de valeurs individualistes et indépendantistes. À l'omniprésence d'une idéologie rétrograde - que la sobriété et l'élégance de la mise en scène soulignent à chaque instant - s'oppose la jeunesse de Jen, qui tente désespérément d'échapper au cadre du film, au sein duquel elle se construit pourtant très consciemment son personnage en termes fictifs - elle est obsédée par la notion de personnage de roman.
Et c'est pourquoi le film est - tant par les thèmes qu'il aborde que par sa structure narrative - une tragédie au sens premier, au sens occidental. La rupture entre ces deux ordres qui s'affrontent pose ainsi la question du choix, omniprésent dans l'oeuvre. Et si chaque schéma narratif a besoin de personnages actants, donc animés d'une volonté permettant au récit de progresser, ici, la notion du choix est exacerbée, au point que la mort de Li Mu Bai est la conséquence directe de la conduite de Jen. Et dans Tigre et Dragon, les personnages font presque systématiquement le mauvais choix: le récit n'est-il pas engagé par la décision par Li Mu Bai de confier Destinée au seigneur Té, scellant alors son destin par ce qu'il pensait être un acte de rédemption ?
Bon, c'est une critique peut être trop centrée sur le fond, mais je n'ai pas grand chose de neuf à ajouter sur la forme ^^ Un film certes lent, mais à la lenteur justifiée et contrebalancée à raison par le personnage de Jen, imprévisible tant physiquement que sur le plan narratif. En plus, Chow Yun-Fat n'a pas de cheveux... Bref, vous l'aurez compris, moi j'aime bien Tigre et Dragon !