Sujet d'actualité brûlant (l'occupation de la ville éponyme du Nord du Mali par AQMI en 2011), sélection cannoise, Timbuktu fait a priori craindre quelque peu le pensum politisé indigeste et manichéen. J'avais peur que ce soit binaire, type très gentils habitants VS très méchants djihadistes, et donc lourdingue. Et bien, pas du tout, et c'est la vraie force du film de Sissako. Il est d'une profonde sincérité, refusant absolument de foutre des étiquettes disgracieuses sur ses personnages.
Les djihadistes sont représentés beaucoup moins comme des fous sanguinaires que comme des pantins paumés, dans leur foi, dans leur rapport à la pratique religieuse, donnant parfois même dans le ridicule. Il faut voir la scène à la fois drôle et touchante de l'enregistrement de la vidéo de propagande, où le grotesque de la situation (l'un des djihadistes est incapable de s'exprimer face à la caméra) le cède à une belle représentation de la solitude. Et il fallait en avoir de l'audace pour faire exister pareils personnages autrement que sous les oripeaux du mal absolu.
La première moitié du film qui sert d'exposition est, à ce titre, assez remarquable. Parce que Sissako connaît son Pasolini sur le bout des doigts et que, comme chez lui, les visages en disent plus long que les paroles. Tout baigne dans une sorte de contemplation, dans la simple beauté des choses et des gens, captés sans recours à la péripétie. L'esthétique, entre gros plans et panoramas, est fabuleuse, évoquant parfois les effluves cinématographiques du western spaghetti en plein Mali. C'est là que le film est le plus doux, dans la capture lancinante du quotidien.
Dommage que le soufflet retombe un peu en seconde moitié de film, malgré quelques envolées sublimes, précisément parce que, même si Sissako demeure dans une pudeur salvatrice, il se laisse rattraper par la gravité et la sensibilité de son sujet. Et le film enchaîne alors davantage des séquences plus iconiques, moins spontanées, moins naturelles. Ici, une jeune femme qui se fait fouetter, là un mariage forcé, là la lapidation de deux amants. Malgré la sobriété relative de ces scènes de violence, il y a un côté larmoyant qui en ressort. Et le film s'épuise alors, au moins un peu, entre palabres lourdingues sur la foi et constructions narratives plus traditionnelles, climaxs à la clé.
C'est un peu dommage.