La moire de mon père
« On a pas la même mémoire, mais on a la même histoire », expliquait Omar Sy avant la projection de ce film qui lui tient particulièrement à cœur, et dont il est le producteur en même temps que...
le 4 janv. 2023
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Le simple fait que ce film ait pu se concrétiser, sortir et trouve visiblement un large public est une très bonne chose, de mon point de vue, car cette page d'histoire est si souvent invisibilisée, comme l'ont été les combattants des anciennes colonies, particulièrement les tirailleurs, pendant si longtemps.
Alors, j'en suis heureuse et je soutiens à fond Omar Sy, dans ses déclarations, que je ne trouve pas du tout choquantes, bien au contraire.
Omar Sy s'est accroché à ce projet, envisagé depuis longtemps, dont le scénario a évolué depuis une dizaine d'années et que Mathieu Vadepied a réalisé avec conviction et sincérité.
Omar devait jouer à l'origine le personnage du fils, puis chemin faisant, il a évolué vers le père, et je trouve que ça lui réussit bien.
Il est très crédible dans le personnage de Bakary, autant que l'est Alassane Diong dans le personnage de Thierno. La complicité qui unit les deux acteurs, oncle et neveu dans la vraie vie, saute aux yeux.
Cette histoire m'a donc convaincue et m'a procurée de l'émotion, ce qui pour moi est gage de qualité, au cinéma.
J'ai lu que certains spectateurs et critiques lui reprochent son côté pas assez fouillé et son absence de traitement du manque de considération que les tirailleurs ont eu à affronter après guerre, malgré les promesses qu'on leur a tenu.
D'abord, je trouve que le film montre suffisamment d'éléments sur le sujet du sort terrible subi par les tirailleurs : leur enrôlement de force, leur atterrissage dans des contrées totalement étrangères et froides, situées à des milliers de kilomètres de leurs chez eux, arrachés à leur famille, sous des ordres proférés dans une langue que l'énorme majorité d'entre eux ne comprennent pas, balancés sur des champs de bataille à l'avant sans quasiment aucun entraînement, avec un équipement minimal et à qui on promet maintes et maintes choses pour l'après guerre.
Ensuite, je pose la question de savoir si c'est vraiment le rôle d'un film de devoir traiter absolument un sujet dans sa globalité.
Pour moi, un film n'est pas un documentaire et n'a pas la prétention d'être exhaustif dans la description d'un fait historique et de ses enjeux, surtout si ce dernier est compliqué par le fait que celui-ci s'étend sur plusieurs décennies et qu'il englobe plusieurs ethnies, sur plusieurs champs de bataille.
Aujourd'hui, on parle toujours des tirailleurs qui sont toujours vivants bien que très âgés, qui se sont vus reconnaître des droits à coups de batailles interminables, de luttes associatives et juridiques, mais qui continuent à revendiquer des droits pour leurs proches, tels que la naturalisation.
Pour revenir au film, dans son sens artistique, car nous sommes essentiellement là pour commenter ceci, j'ai trouvé le film rythmé, sans temps morts, nourri de personnages secondaires intéressants et aux décors particulièrement soignés.
La reconstitution historique me semble assez fidèle, bien que je ne suis pas une spécialiste de la première guerre mondiale.
J'ai lu que l'équipe du film avait gardé des liens avec les habitants des villages où a été tourné le film en 2021. Il semblerait que certains habitants se sont énormément investis pour fournir des décors, des objets appartenant à leurs aïeux, et ça je trouve ça formidable.
Il parait que Omar Sy a demandé des nouvelles aux parents de la petite actrice blonde, après une opération qu'elle a subi, bien après le tournage. Les parents ne s'attendaient pas du tout à ce qu'un acteur d'un tel niveau leur demande des nouvelles de leur fille. J'aime ce côté très humain de l'acteur. Je trouve qu'on le ressent dans le film et dans ses déclarations.
L'histoire de cet amour paternel et filial émouvante m'a parlée avec la dialectique que j'ai trouvée bien traitée entre le point de vue du père et de son fils, qui se détachent progressivement pour finir par s'opposer, occasionnant même une dispute violente dans laquelle on sent le fils pris dans ses contradictions entre son désir d'affirmer son indépendance face à un père omniprésent et en même temps son grand attachement qui le lie à lui et l'immense respect qu'il lui porte.
Avoir opposé ses destins particuliers qui peu à peu s'éloignent est intéressant.
On peut suivre d'un côté un fils qui, reconnu et intégré plus que son père dans l'armée française, galvanisé également par l'esprit épique des combats accentué par son jeune âge, y voit une façon de sortir de ce destin voué à la tragédie, et de l'autre côté, un père, effrayé par les horreurs dont il est témoin, cherchant à tout prix à épargner à son fils ce destin funeste.
Les personnages secondaires sont aussi très intéressants, fouillés. Leurs parcours montrent bien les différentes stratégies de ces hommes pris dans leurs contradictoires face à l'absurdité de ces combats jugés si dangereux et inutiles.
En somme : la guerre, à quoi bon ?
Le personnage du jeune lieutenant est à ce titre très illustrant, synonyme d'un destin obligé. Ce fils de général n'a pas le choix. Cette situation engendre chez lui une folie manifeste, sur fond de concurrence morbide avec son propre père, désarroi que le pauvre bougre noie comme il peut dans l'alcool, poussant ses troupes dans son entreprise suicidaire.
Cette folie sera d'ailleurs perçue par Bakary,. accentuant sa frayeur à juste titre.
Thierno voit lui dans cette relation particulière avec ce gradé, l'occasion d'une promotion lui permettant peut être d'échapper à la mort.
Quand aux rêves d'évasion, on les comprend tout autant, face à ce bourbier et l'exemple des camarades qui tombent sur le champ de bataille ou en reviennent tellement amochés ou traumatisés ....
J'ai trouvé ce film soigné au niveau de de la mise en scène, même si certains, sans doute plus spécialistes des films de guerre, que je ne le suis, y ont trouvé des scènes non réalistes, comme quand le duo père et fils ramène le corps du jeune Adama, en plein champ de bataille, bravant la garde nocturne de la tranchée...
Je ne m'attarderai pas sur ces invraisemblables que je n'ai moi même pas perçu au moment du visionnage.
Le film n'est peut être pas parfait, y compris du point de vue de la reconstitution historique, il présente certes quelques maladresses, mais est cela qui compte le plus après tout ?
N'est-il pas plutôt l'émotion pure qu'il a généré chez moi, renforçant ce fort sentiment de l'inutilité de la guerre, d'un immense gâchis, de destins brisés, prenant corps à travers cette histoire particulière ?
Cette émotion qui perdure en voyant les scènes finales du retour en Afrique
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Créée
le 8 janv. 2023
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