Alors que François Truffaut laissait Antoine Doinel face à son avenir après Les Quatre Cents Coups, un habitué de la chanson allait endosser un premier rôle dans le second long-métrage du jeune réalisateur, Tirez sur le pianiste.
A cette occasion, Truffaut ne dépayse pas trop Charles Aznavour, puisqu’il campe le rôle d’un musicien, un pianiste plus précisément, qui joue régulièrement dans un bar. On ne sait pas encore exactement d’où il vient, ou ce qu’il a mené ici, mais c’est bien tout l’objet de l’intrigue de Tirez sur le pianiste, qui va, peu à peu, dresser le portrait de cet artiste connu, devenu anonyme et, surtout, seul. En apparence, Tirez sur le pianiste se présente comme un film policier, avec, notamment, le frère de Charlie (campé par Albert Rémy, qui jouait le père d’Antoine dans Les Quatre Cents Coups) en pleins démêlés avec deux individus mystérieux qui cherchent à lui faire rendre des comptes. Mais, si cette intrigue policière court tout au long du film et participe activement à sa construction, elle sert surtout de prétexte à l’approche du vrai sujet du film : l’amour.
Car c’est à travers les histoires d’amour du présent et du passé que se développe le portrait de Charlie, mais aussi tout le sens du film lui-même. A l’image des curieuses réactions des « gangsters » et de leurs relations vis-à-vis de Charlie et de Léna qui prennent sans cesse le contre-pied de nos attentes, le spectateur comprend que Charlie n’est pas plus en cavale par rapport aux criminels, que par rapport à l’amour lui-même. Sa timidité le ronge, et lui a déjà souvent valu de passer à côté de ce qu’il désirait, comme lui fait comprendre la voix qui émane de sa conscience. Une voix qui n’est pas celle de Charles Aznavour, comme si sa conscience était une entité à part entière, s’adressant à lui, et faisait comprendre au spectateur que Charlie est toujours en proie à l’incertitude, à ses doutes, et agit presque systématiquement d’une autre manière que celle que sa conscience lui indique de suivre.
Cette intervention de la voix-off est un procédé assez récurrent chez Truffaut, qui lui permet ici de soustraire la parole aux actes, qui deviennent plus éloquents. La gestuelle, l’attitude et les expressions deviennent les principaux moyens de communication, ce qui est, finalement, normal et judicieux lorsqu’il s’agit de parler de sentiments. Des sentiments difficilement contrôlables, ébranlant tous ces hommes, aussi fascinés qu’envoûtés par ces femmes, qui sont au cœur des enjeux et des convoitises, se présentant comme des sources d’espoir et de bonheur, mais qui provoquent, parallèlement, la peur et un inéluctable sentiment d’incertitude. On ne sait comment les approcher, comment leur plaire ni leur déplaire, et c’est ce qui unit et confronte tous les hommes qui interviennent dans ce film.
Tirez sur le pianiste mélange polar, film noir et film de gangsters, mais comme toujours chez Truffaut, le vrai sujet, c’est l’amour. Volage, triste, fougueux, timide, désabusé, animal, il se mue sans cesse et se matérialise différemment à travers ces différents portraits de femmes. Pas d’envolées lyriques pour Truffaut, qui reste dans la sobriété, mais toujours pertinent, conférant beaucoup d’authenticité à cette histoire et à ces personnages. La douceur des sentiments finit souvent écrasée par la vigueur des passions, et pendant ce temps, l’amour court toujours, laissant derrière lui toutes ces âmes errantes, et le piano continue de jouer.