"J'ai rien compris", "je comprends pas pourquoi ça a eu la Palme d'Or", ou au contraire, "quel coup de poing !"; on s'accordera au moins sur ce point, Titane a réussi son pari : faire parler de lui. Titane, c'est ce sujet litigieux que l'on balance en fin de repas avec la famille, histoire de combler un vide. "Quand même Titane , ça va pas un peu trop loin, non ?" Et hop, c'est reparti pour une heure supplémentaire, un nouveau tour de table pour le plateau à fromages et les enfants, une lueur dans les yeux, qui repartent jambes à leur cou, valdinguer dans la pièce d'à côté. Comme Agathe Roussel, alias Alexia, s'évertue à casser son nez contre un lavabo, le dernier film de Julia Ducournau a bien l'intention de nous retourner l'estomac et le cerveau, avec une radicalité bien revendiquée.
Mais de quoi Titane est-il le nom ?
Titane, c'est avant tout une histoire de famille. Alexia, déjà toute petite, aime les voitures et les vrombissements de leurs moteurs. Un choix qui laisse plus que perplexe son père. Loin d'être une passion, l'attirance d'Alexia pour les voitures est un mode de vie. Peu importe que les autres ne comprennent pas cette relation, Alexia en vit une intense avec les bolides et est prête à le prouver, la biologie à ses côtés.
S'affranchir des normes, de la famille et de la société, charrie son lot de violences. Créer un monde nouveau ne se fait pas dans la dentelle, et Julia Ducournau nous le fait bien comprendre. Il faut même tuer le père pour y arriver, dans une belle métaphore cinématographique. Crime parmi les plus graves historiquement dans nos sociétés occidentales, c'est dire.
Détruire, oui, mais reconstruire, c'est mieux. En parallèle, voilà dix ans que Vincent, commandant d'une caserne de pompier, cherche son fils disparu. Plus que son fils, c'est un fils qu'il cherche. Et hop, voici qu'Alexia, changeant opportunément de genre, rattrapée par ses violents méfaits dira-t-on, y postule. Une drôle d'entente se noue entre Alexia et Vincent, à la virilité déclinante avec l'âge, tous deux évoluant aux marges normatives de leurs sociétés. Au grand dam de Rayane, jeune pompier premier de la classe qui se voyait bien fils de substitution de Vincent.
"Je suis Dieu pour vous, et le fils de Dieu, c'est Jésus", s'exclame Vincent à l'adresse de ses subordonnés pour présenter son fils adoptif. Entre les deux protagonistes, on assiste à la création d'un nouveau mythe, la naissance d'une théologie révolutionnaire venue tout droit des zones subsidiaires de la société. Du fruit de cette relation naît un demi-Dieu, enfant d'une voiture, d'une mécanophile et d'un pompier, au cours d'une scène mystique à la caméra tournoyante au milieu de faisceaux lumineux émanant de tout part. Un mythe prend forme.
"Il y a tant de beauté, d'émotion et de liberté à trouver dans ce qu'on ne peut pas mettre dans une case. Et dans ce qu'il reste à découvrir de nous (...). Et merci au Jury de laisser entrer les monstres.", s'exprima, émue, Julia Ducournau à la réception de sa Palme d'Or en juillet dernier. Avec Titane, la réalisatrice nous entraîne dans les tourbillons d'une reconstruction théologique de nos sociétés. Non sans difficultés et sans bousculer le spectateur, pour notre plus grand (dé)plaisir.