Dès le générique d’ouverture de Titane, nous sommes plongés dans le moteur, les huiles, les pistons d’une voiture en marche. Découpe anatomique monstrueuse et métallique d’une puissante machine. Il y a là tout le programme opératique et mythologique du film de Julia Ducournau. Tout ce qui importe se passe à l’intérieur, sous la carrosserie, sous la chair.
Puis il y a Alexia, introduite adulte dans un plan séquence où de dos elle slalome, peu vêtue, érotisée - cicatrice apparente -, chorégraphiée sous la musique des Kills. Ce salon de l’auto est la dernière scène où le film s’offre sans découpage précis et sans bruit et fureur. C’est également la scène par laquelle tout bascule.
Dans Grave comme dans Titane, il y a de la métamorphose, littéralement. Ce sont des films qui par la transformation libèrent les monstres érotiques et thanatiques. Titane est plus dur que Grave dans tous les sens du terme. Les séquences cronenbergiennes y tutoient les hallucinations lynchiennes, la mise en scène emprunte à tous les films de genre (ou à tous les genres de film) pour in fine les transcender.
C’est le défi immense et écrasant qui survole le film : celui d’aller plus loin, d’en montrer plus, d’en faire ressentir au spectateur l’éprouvante souffrance et l’élation mystique. Dans ses meilleurs moments le film tutoie l’inouï, se transformant en immersion enivrante et lancinante (pour peu qu’on lâche prise).
C’est le pacte que Titane propose à son spectateur : s’abandonner pour recevoir, pour voir. Le film s’allie au spectateur comme Alexia s’allie à son monstre pour résister face au vrai monstre : l’apathie.
Véritable appel à la révolte des émotions, à la réinjection d’une puissance de l’image, à une implication absolue de l’acteur et de son corps, du spectateur et de son regard, la foi de Julia Ducournau dans le cinéma est sublime. Elle en est même contagieuse.
Tout n’est pas réussi dans le film et le fil sur lequel il dance menace de rompre à tout moment. C’est aussi ce qui fait de Titane un sublime acte de foi, une promesse fait à soi-même et au public que le cinéma est là pour faire catharsis, pour conjurer le monstre à la lumière de l’écran, le détailler et lui enlever de son emprise.
Et renaître en sortant de la salle, à la réalité.