J’ai le sentiment qu’il y a une incompréhension globale autour de ce film et des raisons pour lesquelles il a eu tant de succès auprès du public féminin. La tendance à se focaliser sur l’histoire d’amour, qui est certes profondément touchante mais pas le propos principal du film, montre à quel point le public masculin est passé complètement à côté de son ambition. Car avant d’être une histoire d’amour et de naufrage, Titanic est avant tout un récit de survie et d’émancipation : c’est l’histoire de Rose, une jeune femme piégée dans les griffes du patriarcat bourgeois, qui va parvenir, avec l’aide de Jack, à s’en échapper petit à petit pour finalement reprendre les rênes de sa propre vie. Sur un fond de drame colossal, son voyage à bord du paquebot marque le point de départ de sa nouvelle vie. Alors que l’insubmersible Titanic sombre, Rose renaît. C’est POIGNANT. Toutes les petites filles qui ont pu visionner ce film en 1997 ont alors compris qu’il était possible de devenir actrice de son destin. Que le patriarcat n’était pas une fatalité. C’est donc au-delà de l'impeccable soin qui a été donné à sa réalisation, à sa photographie, à son inoubliable musique, que le film remue et marque en profondeur.
Si vous n’êtes toujours pas convaincu par mon propos, récapitulons ensemble le parcours de Rose :
Au début du film, Rose est promise à Cal, un jeune homme fortuné de la haute bourgeoisie traditionnelle. Ces fiançailles, orchestrées par la mère de Rose, sont en réalité une transaction financière dont Rose est la monnaie d’échange afin de garantir leur sécurité matérielle. Un mariage typique pour l’époque, en somme.
Durant la première partie, on découvre une Rose malheureuse, mais remarquablement intelligente et piquante, au bras de son fiancé Cal qui se montre quant à lui particulièrement pédant et contrôlant : il se moque des goûts artistiques de Rose, ne s’intéresse pas à ses lectures, commande ses repas sans se soucier de ses goûts personnels et l’empêche de fumer en lui ôtant sa cigarette de la bouche. Il tentera plus tard d’acheter son amour avec un diamant très rare, le fameux cœur de l’océan, mais ça ne prendra pas : Rose ne le désire pas et ne supporte plus sa vie dictée par les codes et les injonctions de la bourgeoisie, au point de vouloir se suicider pour échapper à sa future situation.
C’est là qu'intervient Jack, l’antagoniste parfait de Cal, qui va la sauver une première fois lors de sa tentative de suicide. C’est lors de cette rencontre que Rose se sent pour la toute première fois de sa vie entendue et considérée comme une personne à part entière et non comme un trophée ou une monnaie d’échange.
Elle découvre la vie, la vraie, avec Jack : ils vont échanger, rire, danser, faire les 400 coups ensemble. Leur relation devient alors sincère et équitable.
Témoin de cette évolution, son entourage tentera de la remettre immédiatement sur le droit chemin : sa mère avec de la culpabilité et des larmes, son fiancé avec de la violence et des menaces. Et oui, la vie est injuste, Rose, « nous sommes des femmes, nous devons toujours faire des choix difficiles ».
À deux doigts de capituler, Rose fait finalement le choix de la vie en se tournant vers Jack.
C’est à ce moment-là que la magie opère et que nous assistons enfin à la rébellion et à la renaissance de Rose :
- à sa demande, elle posera nue avec le cœur de l’océan, portrait dessiné par Jack et laissé en souvenir à Cal, provocation particulièrement osée et salée de sa part
- elle prendra la fuite tout sourire, un doigt tendu au valet de Cal
- elle initiera “une virée pour les étoiles” (wink, wink) dans une mythique scène de voiture et de buée avec Jack
- elle prononcera des adieux froids à sa mère et la quittera pour toujours, sans se retourner, alors que celle-ci l'implorera de revenir
- elle crachera à la figure de Cal pour se dégager de son emprise, geste que Jack lui aura d’ailleurs appris à faire un peu plus tôt dans le film, représentatif de sa déconnexion progressive avec le monde bourgeois
- elle donnera un coup de poing à un membre de l’équipage qui tentera de la traîner de force hors de son objectif
- elle sauvera Jack de la noyade en le libérant de ses menottes à coup de hache
- elle résistera au gel et trouvera en elle les dernières forces qui lui permettront d’appeler à l'aide
- après avoir été secourue, elle reprendra le nom de Jack et signera de cette manière sa rupture définitive avec son ancienne identité
Ainsi, la force du récit réside essentiellement dans le revirement intérieur de son héroïne. Rose, qui voulait se tuer en début de film, retrouvera l'espoir d'une autre issue possible et finira par se battre pour vivre alors qu’elle est au plus près de la mort.
Si la perte de Jack est tragique, elle est indispensable pour redonner à Rose toute son indépendance. « Ce n’est pas à toi de me sauver Jack. - Tu as raison, toi seule le peux. »
Jack n’est finalement qu’un passeur qui l’aidera à quitter sa vie passée pour un futur qu'elle bâtira toute seule.
Et la fin nous montrera que Rose a rempli toutes ses promesses : alors qu’elle est enfin devenue “une vieille dame bien au chaud dans son lit”, on pourra trouver à son chevet divers photographies, témoins d’une vie bien remplie, avec un détail notable : elle est à chaque fois le seul sujet de ses photos, montrant ainsi qu’elle aura vécu sa vie pour elle-même d’abord.
Mon copain trouve le film trop niais. Pour moi, c’est une véritable bouffée d'air frais. À l’heure où le procès Pélicot vient de démarrer, où la marathonienne Rebecca Cheptegei fut brûlée vive par son compagnon, où les afghanes sont réduites au silence, où une médecin indienne fut retrouvée violée et tuée sur son lieu de travail, j’ai envie de croire qu’on trouvera la force de se battre encore et encore avec quelques Jack à nos côtés.