L'immortel Satoshi Kon déroute. Loin du thriller glaçant d'un Perfect Blue, de la biographie d'une Millennium Actress transie d'amour pour le média cinéma ou des envolées science-fictionnelles vertigineuses au goût de Paprika, il met en scène cette fois-ci un véritable conte de Noël et nous invite tout simplement à vivre avec trois sans domiciles fixes mal assortis. A partager leur intimité et leur quotidien. L'obsession du réalisateur pour l'altération de la réalité est ainsi mise de côté. La contamination de la psyché ou de l'âme absente. Comme pour mieux installer à la place un certain sens du merveilleux, comme cet enfant trouvé tombé du ciel, vécu comme un miracle.
Ce bébé semble irradier, convergence des heureux hasards et des coïncidences improbables, élément qui marque la naissance de la famille, même la plus inattendue. Car assurément, ces trois laissés pour compte seraient bien les derniers parents qu'il faudrait pour une enfant. Mais sous l'oeil du spectateur, la magie opère. Centre de toutes les attentions, ce bébé voit se pencher sur lui les visages de trois bonnes fées impromptues, de trois rois mages des plus décalés et immédiatement attachants, charriant tous leur passé comme des blessures profondes et encore à vif. Chaque personnage est magnifique dans son traitement, naviguant constamment entre émotion et burlesque, parfois au coeur d'une même scène. Leurs histoires sont touchantes, ce qu'ils vivent est émouvant, dans un décor urbain de Tokyo enneigé, et pourtant, de manière contradictoire, baigné par instant dans une douce lumière, dégageant une étrange impression de chaleur. Véritable personnage, la ville vit littéralement, respire et accueille ses âmes perdues.
La société, quant à elle, ignore ceux qu'elle a déclassés. La perception de la pauvreté et de sa détresse, le regard porté sur elle est tantôt hostile, tantôt fuyant. Mais ce sont pourtant quelques êtres à la dérive qui prendront soin de l'enfant et chercheront à retrouver ses parents. Satoshi Kon s'engage dans une sorte de road movie décalé, rythmé par les relations chaotiques de ses personnages émotionnellement riches que le spectateur ne peut que prendre en affection et dont la vie sera changé par ce nouveau-né qui semble béni des dieux. Car à son contact, nos trois vagabonds évolueront vers une certaine rédemption, en écho à une vie, à des regrets, à des malentendus, avec, en bout d'une course à perdre haleine, une seconde chance et l'occasion de renouer les liens rompus, de rebâtir ce qui a été détruit, de demander pardon.
Tokyo Godfathers prend la forme d'une fable humaniste extrêmement touchante et d'une infinie tendresse, sans jamais avoir recours au pathos ou à une morale superflue. Il jette un oeil bienveillant sur ses personnages mal assortis qui se chamaillent, une drôle de famille recomposée attachante qui en recomposera d'autres sur leur passage. Tout cela au cours de leurs aventures rocambolesques culminant dans un final tout aussi échevelé qu'émouvant, de leurs tribulations dans les lieux les plus improbables, entre rires et larmes, certainement là où le génie du Satoshi Kon de Tokyo Godfathers réside, la sincérité des humbles à fleur de peau.
Behind_the_Mask, qui a vu un ange.