Tokyo Tribe par Gilles Da Costa
Imaginez un croisement invraisemblable entre Les Guerriers de la nuit de Walter Hill et West Side Story, le tout sur fond de rap japonais old-school façon Shakkazombie/Zeebra, et vous aurez une idée assez juste de l'univers présenté dans ce Tokyo Tribe de haute volée.
Adapté d'un manga signé Santa Inoue, le dernier film de Sono Sion est une mosaïque étourdissante de formes, de couleurs et de sons. Une comédie musicale pop et hip-hop, habitée par des personnages cartoonesques tous plus cinglés les uns que les autres. Ici, pas besoin de scénario élaboré ou d'enjeux clairs et déterminés. C'est la guerre des gangs et les différentes parties vont s'expliquer à coups beats ou à coups de battes.
D'une richesse visuelle incroyable, Tokyo Tribe fourmille d'idées à chaque plan et sert de terrain de jeu idéal pour un Sono Sion manifestement stimulé par cet univers foutraque et coloré. Il nous sert ainsi, dés le début du film, un plan-séquence étourdissant commençant par un long plan grue, avant de descendre en caméra portée dans les ruelles d'un Tokyo de bande-dessinée, pour suivre notre narrateur incarné par Sometani Shota (qu'on a déjà vu chez Sono Sion dans Himizu ou dans la série Minna ! Esper dayo !). Le reste du film sera au diapason de cette introduction. Caméra extrêmement mobile, photographie colorée criblée de lens flare, montage hystérique, décors fouillés, Tokyo Tribe bombarde la rétine de la première à la dernière seconde.
Mais si ce film est assurément le plus cher jamais tourné par Sono Sion, on y retrouve néanmoins la patte inimitable et les figures chères à l'auteur. En effet, comme dans son autre film "grand public" Why Don't You Play in Hell ?, le metteur en scène recycle ici certains concepts ou personnages déjà croisés dans son oeuvre. On ne sera donc pas étonnés de retrouver dans Tokyo Tribe la guerre des gangs de Bad Film, la jeunesse des rues de Hazard, la théâtralité de Strange Circus, le fétichisme de Guilty of Romance ou l’héroïne bien badass de Love Exposure.
Cette capacité à conserver son intégrité artistique d'un film à un autre, à ne pas diluer son identité, sa particularité, quels que soient les univers abordés ou les budgets alloués, voilà la grande force de Sono Sion. Inclassable, protéiforme, il est le cinéaste pop ultime et prouve encore une fois avec ce film qu'aucun genre ne lui résiste, même les plus casse-gueule.
Violent, hilarant, bruyant, épuisant, Tokyo Tribe est le film de l'excès. Une sorte de tartiflette cinématographique, riche et roborative, mais dont vous demanderez sans cesse du rabe tant elle vous comble de bonheur.