L'homme de lettre n'est pas cinématographique. C'est le moins que l'on puisse dire. Faire un film sur un homme dont le métier était essentiellement de coucher sur papier des lettres, des mots, de la manière la plus somptueuse qui soit est un défi à relever. Quand on pense à Tolkien, on a généralement en tête ce sympathique vieillard à pipe, qui parlait à merveille des elfes en roulant ses "R". Brillant universitaire, certes, mais pas vraiment ce qu'on appelle un homme d'action. Plaisant donc, le bonhomme, mais pas très excitant.
Mais si, comme moi, vous avez déjà pris le temps de lire une biographie, même courte, de John Ronald Ruel.... alors les choses vont prendre une toute autre allure (j'en profite au passage pour vous recommander la courte mais brillante biographie par Alexandre Sargos, Tolkien à vingt ans, aux éditions Diable Vauvert).
La perspective d'un film sur la jeunesse, la genèse, de l'écrivain, peut enfin devenir intéressante.
Au fur et à mesure des minutes, le personnage qu'on nous présente, et qui aime tant les mots, se résume en un seul : niais. Lisse, pas de variation d'émotion, pas de changement de caractère. Tolkien eut à vivre, au cours de sa jeunesse, des épreuves terribles. Qu'en est-il dans le film ? Au mieux des anecdotes. La mort de sa mère ? Un plan de quelques secondes. Sa vie à Birmingham ? Néant. Son amour des arbres ? à peine évoqué.
Qu'a-t-on a retenir de ce que nous présente le film ? L'amour de l'auteur pour Edith. Son amour pour sa fraternité, son cercle d'amis. De bons et nobles sentiments, mais c'est tout. Ah oui, et le traumatisme de la guerre aussi, c'est vrai. Là où il se passe enfin quelque chose (la quête de son ami sur le champ de bataille et sous les tirs est sans conteste le grand moment du film). Mais il y avait tellement d'autres choses à dire, tellement de choses à montrer qui auraient merveilleusement collées à son temps, et surtout au notre.
L'absence de son père, celui qui lui donna son nom, n'est même pas évoqué. Son début de vie en Afrique du Sud tient en une phrase mais surtout, surtout : l'indigence de sa mère reste un soupir, alors qu'elle était un point central de la vie de Tolkien.
Tolkien était un homme d'une telle actualité par rapport à notre temps : déchiré par et pour des questions religieuses, bouleversé par l'écologie... autant de thèmes parlant qui n'ont tout simplement pas été évoqué par le film, qui aurait pourtant tellement gagné à prendre ces risques artistiques.
Au lieu de cela, nous avons droit à un enchaînement de bêtises de jeunes gens, de leur sourires ravageurs à leur amours déçues, mais qui s'achèvent en happy end, le tout servi par des images et une photographie beaucoup trop belle pour être honnête.
Tolkien est un film joli, mignon, mais sans relief, sans prise de risque, qui nous montre un personnage niais, à des kilomètres de l'homme qui a fait fantasmer des générations entières à travers le monde.
C'est beau, mais c'est chiant. Dommage, vraiment dommage.