Une voiture sur une route déserte, plan très large, hélicoptère, comme le début d'un film d'horreur, la route vers nulle part, le lieu où tout se termine, celui où tout se révèle. On pense oublier que Tom à la ferme est l'adaptation d'une pièce de théâtre. La prouesse de Xavier Dolan est de nous le faire croire, alors que le film tout entier puise sa force dans la représentation théâtrale : ici les personnages n'existent pas pour ce qu'ils sont mais pour ce qu'ils incarnent.
C'est le mensonge qui est au cœur de Tom à la ferme. C'est le mensonge avec lequel presque tout homosexuel doit composer un temps, sa vie durant parfois. Par omission, délibéré, destructeur, ce mensonge-là est aussi facteur d'identité. Il est ici inversé, imposé par un autre qui sait, imposé à celui qui croyait ne plus avoir à en jouer. C'est le frère de l'amant mort qui force Tom à mentir, à inventer une blonde au fils idéal. Dès lors le mort n'existe déjà plus, Guillaume n'est plus que l'image que chacun veut avoir de lui.
Tom est là pour vivre un deuil qu'on ne lui accorde pas. Il passe alors un pacte avec le mensonge, mettant ses propres mots dans la bouche de la fausse blonde, acceptant les coups du frère comme autant de preuves de son existence. Si Francis est autre chose qu'un homosexuel refoulé, s'il est aussi comme sa mère un être en sursis bouffé par la solitude, il est surtout le négatif d'un Tom qui cherche du "vrai" là où il n'y en a pas.
Jeu en constant déséquilibre, prenant le spectateur à revers, brouillant les repères, Tom à la ferme est une histoire de fous, un survival sans zombies, un film brutal sur l'identité, la représentation, le vide.
La mise en scène est resserrée, tendue, constamment soutenue par la partition particulièrement inspirée de Gabriel Yared. Beaucoup de plans larges, des changements de format, des plans très rapprochés, un montage presque instinctif. Dolan redonne ici toute sa force au champ contrechamp : image frontale, raccord sec, enfermement maximum.
On pourra reprocher quelques lourdeurs narratives, notamment sur les séquences de fin. C'est oublier l'essence théâtrale du film. Ainsi la scène du bar n'est pas là pour nous apprendre quoi que ce soit, mais pour illustrer le retour de Tom "parmi les hommes", tout comme l'apparition attendue dans la station service place Tom devant son double perdu.
Lise Roy, Pierre-Yves Cardinal, Evelyne Brochu et Xavier Dolan composent le quatuor aussi tragique que grotesque d'un film presque sans larmes, bousculé par une scène centrale glaçante, théâtre de masques cultivant ses parts d'ombre et ses déséquilibres avec frénésie et, comme toujours chez Dolan, une envie folle de cinéma.