Souvent qualifié de "jeune prodige du cinéma québécois", le réalisateur Xavier Dolan peut se vanter d'avoir réalisé cinq films à tout juste 25 ans. Une telle productivité étant un rêve pour tout jeune cinéaste, Dolan a rapidement émergé avec l'étiquette de "modèle". Son quatrième film Tom à la ferme est un thriller psychologique, genre dans lequel il ne s'était pas encore aventuré. Très attendu, c'est finalement une déception : les idées sont là mais le film est assez vide et bâclé, probablement dû à un manque d'expérience.


Tom à la ferme peut être considéré comme un film "vite fait, mal fait". C'est la terrible impression que l'on ressent une fois passé les portes de sortie. Pourtant les idées étaient très alléchantes et avaient tout pour créer une atmosphère déstabilisante : une famille dérangée psychologiquement avec une ferme isolée comme fond de toile, n'est-ce-pas tentant ? Saupoudrez le tout de jeux de manipulation, domination et syndrome de Stockholm et on avait de quoi se frotter les mains. Mais alors pourquoi ça n'a pas marché ? Un des principaux soucis est que l'on ne comprend pas vraiment ce qu'on veut nous dire, ou plutôt Dolan ne savait pas comment aborder une telle histoire. Car c'est ça le problème fondamental du film : il ne prend pas de réel point de vue, et lorsqu'il tente d'en prendre un ça ne fonctionne que rarement. Prenons un exemple symbolique, c'est le moment où Tom vient d'arriver à la ferme et prend une douche. Afin de présenter physiquement pour la première fois à l'écran le personnage de Francis, ce dernier fait son apparition par le biais d'un jump scare sous les traits d'un visage fantomatique. L'idée est très bien car elle pose déjà la relation ambigu et dominante que Francis développera envers Tom, le film met presque alors un pied dans le genre de l'horreur. Mais le soucis...c'est qu'après cette idée est balayée ! Il n'y a pas de réel fil conducteur, rien que l'histoire est vraiment difficile à comprendre, certains détails importants n'arrivent que bien plus tard (la cause de la mort de Guillaume, les raisons du retour de Tom à la ferme, etc.). Le fait de retarder l'apport d'éléments importants de l'intrigue est intéressant s'ils permettent d'apporter du suspense ou une relecture de ce que l'on sait déjà, c'est le principe du genre policier ou du twist final. Il faut que ces détails jouent alors un rôle important dans le récit et que leurs apparitions soient justifiées. Mais ici ces éléments arrivent comme de simples anecdotes balancées au bout d'une table, leur retard volontaire est donc complètement inutile. D'autres éléments restent aussi sans réponses (Tom est censé travailler dans la pub par exemple), ce ne sont peut-être que des détails mais cela n'arrange pas la compréhension du récit et les comportements des personnages.


Nous le disions un peu plus haut, Xavier Dolan ne prend pas vraiment de position sur son film, et cela se ressent dans sa mise en scène. Il y a clairement un abus de style car il y a plus des tentatives que de véritable partis pris. Un exemple révélateur est le changement de format qui intervient à deux moments, on passe alors d'un format 16/9 à un format cinémascope en 2,35. L'idée est encore une fois très intéressante car originale et innovatrice, mais l'emploi est ici très maladroit car le format 2,35 fonctionne très peu en caméra portée, il n'apporte rien ici hormis un effet de style. Dolan essaye plusieurs de ces effets mais ne garde pas une ligne directrice, ce qui joue contre lui car Tom à la ferme manque au final de cohérence dans la réalisation. Dans la séquence d'introduction qui présente l'arrivée de Tom à la ferme, la mise en scène est très soignée avec des plans stables et bien composés. Cependant cette dernière évolue car elle devient par la suite plus conventionnelle puis aborde un côté réaliste, comme si nous passions de Kubrick (séquence d'introduction très composée) à Kechiche (caméra portée et plus aléatoire). Cette variation aurait pu être justifiée pour être symptomatique ou représentative du changement d'état psychologique de Tom, seulement ça ne marche pas car elle est faiblement maîtrisée. Nous avons finalement plus affaire à des exercices de style qu'à une véritable démarche progressive.


Bon rassurons-nous tout n'est pas à jeter. Certaines séquences sont bien réussies et apportent des bon moments de tension ou de suspense. On pense alors à la scène du tango dans la grange qui renforce l’ambiguïté autour de la relation entre Tom et Francis, l'intimité entre les deux personnages devient alors inquiétante mais intrigante. Le récit aurait dû d'ailleurs s'y intéresser bien plus tôt car cette relation complexe aurait pu être une très bonne approche. Autre moment très convaincant est lorsque Tom boit une bière au bar et se fait conter la mésaventure monstrueuse de Francis par le barman, la scène offre une attente efficace et permet de mieux se représenter la psychologie dangereuse du grand frère. L'acteur est d'ailleurs assez irréprochable et retranscrit très bien ce paradoxe présent au fond de lui, ce qui est un peu moins le cas de Dolan qui propose un jeux en dents de scie. Autant il peut être convaincant (l'explication dans les toilettes), autant il n'est pas crédible pour un sous (lors de ses bredouillements sur le vrai à Sarah, ce n'est pas en jouant uniquement avec ses mains qu'on va y croire, il faut proposer plus de nuances).


Tom à la ferme est un film bâclé et plus un essai stylisé qu'une véritable approche du thriller psychologique. Comment ne pas penser à Festen ? On en est hélas très loin. Ce n'est pas par manque d'idées, c'est simplement que le réalisateur ne savait pas vraiment comment aborder son sujet. Ne sachant pas vraiment s'il doit rester du point de vue de Tom, s'intéresser plutôt au trio familial ou plus spécifiquement à la relation étrangement malsaine entre les deux hommes, Dolan essaye de brasser un peu de tout. Malheureusement, les enjeux ne sont jamais vraiment établis et nous ne savons pas à quoi nous raccrocher. Tom n'est pas un personnage attrayant, en plus d'une veste en cuir assez mal choisie et d'une tignasse qui renverrait Polnareff pour un petit joueur, l'approche psychologique est assez faible et l'empathie ne vient jamais. Le réalisateur aurait peut- être dû rester derrière sa caméra et mieux travailler sa mise en scène. Même la fin est assez lourde de par sa tournure scénaristique assez facile, révélatrice d'un Xavier qui ne sait pas où il va et ce qu'il veut dire. A-t-il volontairement balayé son œuvre pour se focaliser sur Mommy, potentiellement alors en course pour Cannes ? Cependant, le film vaut d'être vu si vous désirez apprendre quelques mots en québécois, ça peut toujours servir.

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le 2 mai 2014

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Poupart

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