Xavier Dolan est un surdoué qui ne s’ignore pas. Il fascine ou il agace, mais ne laisse jamais indifférent. En se mettant en scène dans Tom à la Ferme, comme un défi pour prouver qu’il pouvait aussi tenir les premiers rôles, il s’expose encore et prend des risques. Il l’assume pleinement, d’autant plus qu’il choisit de sortir de sa zone de confort, délaissant le drame baroque au style foisonnant, riche, pop et coloré pour le thriller psychologique rural, sombre et crasseux. Evidemment il le fait à sa manière, en lui conférant les codes du film d’horreur, pour créer un long métrage hybride qui fonctionne diablement bien. La scène d’ouverture, magnifique et saccadé plan aérien sur un Moulins de mon cœur chanté a capella, est immédiatement identifiable au style du jeune réalisateur, mais elle l’intègre d’emblée dans un univers plus sombre, plus heurté.
Si son cinéma se fait plus dur, il fait preuve tout de même de nombreuses fulgurances formelles, que le ton âpre transforme en autant de pics émotionnels. Dolan joue sur les ellipses, les zones d’ombre pour installer son huis-clos dans une ambiance hautement anxiogène. Avec pas grand-chose, si ce n’est son ingéniosité et sa maitrise insolente des cadres et du rythme, il propose des moments de tension suspendue, une danse malsaine et ambiguë entre les deux hommes, fascinante, arbitrée par l’image maternelle, figure récurrente et omniprésente du cinéma de Dolan. Moins clairement désignée comme la cause des névroses de sa progéniture, elle ne demeure pas moins l’élément clé du secret et des non-dits.
Mais Dolan laisse sa lubie au second plan, pour livrer une vision à la fois personnelle et très précise du syndrome de Stockholm, qu’on a rarement vu aussi bien traitée. Sa mise en scène millimétrée, l’intensité qui s’en dégage, donne aux réactions des protagonistes une crédibilité imparable.
Angoissant, troublant, fascinant, Tom à la ferme marque une nouvelle évolution dans le travail du réalisateur canadien. Ce garçon est assez bluffant…