N'interprétez pas le titre de ma critique comme l'annonce d'un nanar, je sors cette phrase dans le respect et la sympathie la plus totale !
Je dois dire que je ne sais pas encore de quoi penser, précisément, de l'album original de The Who (groupe que je ne connais pas hyper bien d'ailleurs). Oui, l'idée du flipper est pas ouf... Mais l'idée de la secte après le miracle est représentative des aspirations de son temps... Des morceaux ne servent à rien... Mais il faut prendre en compte que c'est le premier opéra rock... Des titres comme "Amazing Journey" ou "Sensation" sont pour moi insignifiants... Mais "Underture" ou "Go to the miror" sont ouf... Je crois que j'apprécie davantage l'idée de concept que ce concept-là en lui-même... Mais en même temps c'est le père de beaucoup de concepts que j'aime et il faut être indulgent avec les premiers pas...
Même si mon coeur penche davantage vers le "Mouais" que le "Ouais !", j'ai pas d'avis stable sur ce double-album, dont l'ambition reste incontestable.
Mais, pour mon plus grand bonheur, le film retire tout ce qui fonctionne sur l'album et met de côté tout ce que je lui reprochais !
C'est une jouissance en permanence pour plusieurs raisons. Déjà, il suite les années 70 : la créativité n'a ici aucune limite. On contemple cet objet qui part dans les délires que même les plus camés n'auraient jamais imaginé, et ils repoussent les limites de la métaphore visuelle sur fond psychédélique, sans redouter les réactions interloquées du public. Entre la mère qui se traîne dans de la merde, la vierge de fer qui recèle des seringues et qui s'ouvre avec un Tommy transformé en squelette logeant des serpents (moment mythique pour moi, c'est juste absolument génial) ou la prostituée noire toujours filmée en gros plan avec grand angle, chaque morceau du film a sa part de gloire. Si on excepte les illustrations de Scarfe, "Tommy" va encore plus loin dans ses délires dépressifs que "The Wall" d'Alan Parker, c'est dire ! Mais il va pas dans le glauque total comme ce dernier. Les personnages surjouent, trichent avec eux-même : on est dans l'opéra rock totalement assumé comme tel. Tout est surréaliste, on est complètement dans un autre monde, où tous les écarts sont possibles.
Ensuite, ce film jouit d'un casting improbable, utilisé dans des conditions improbables. Le plus marquant est bien sûr Elton John en présentateur d'une partie de flipper par le leader des Who devant un public de jeunes hippies. Rien que pour ça, vous devez voir ce film. Mais il y a aussi Eric Clapton qui rocknellise une église, ou Jack Nicholson en docteur qui drague la mère du pauvre petit Tommy ! Tina Turner en prostituée droguée aussi, ça vaut le coup d'oeil, inoubliable. Mais même avec les personnalités moins connus, comme Oliver Reed et Ann-Magret, les performances sont tellement déformées d'elles-même que l'absurdité des personnages en ressortent, avec la totale complicité des spectateurs qui en redemande. Et puis, et surtout : le film te donne envie de mieux connaitre l'album ! Malgré mon avis dessus ! Quand je vois Tommy se barrer devant un soleil couchant avec une explosion rock dantesque, j'ai toujours envie de lui redonner une chance, histoire de savourer à nouveau cette espèce d'apesanteur où le ridicule frôle constamment d'être vu mais n’apparaît jamais, où des surprises aussi jouissives que franchement marquantes sont enchaînées dans un montage aussi fou furieux que la mise en scène et la photographie, où Kurt Russel combat ses handicaps au nom du flipper ! C'est ce qui finit d'ailleurs par être sa faiblesse: à constamment lancer la purée, on a peu de temps pour souffler je trouve, et il fatigue vraiment au bout d'une heure. On est toujours captivé, mais on est davantage déconcentré.
Mais ce film est beaucoup trop cool, vraiment. Vous pouvez ne pas l'apprécier tel quel, mais si c'est le cas, il sera soit un nanar, soit un plaisir coupable pour vous (c'est le risque quand un Opéra Rock joue sa carte à ce point-là, sans avoir des sous-entendus plus adultes). Dans tous les cas, une fois vu, "Tommy" ne vous laissera plus jamais tranquille, et ce sera difficile de retrouver une telle luxure de trouvailles techniques dans un autre film.