L'histoire du XXIème siècle est marquée par une série de grandes injustices : les 0,25% de Jacques Cheminade aux dernières élections présidentielles, le carton rouge de Zidane en finale de la coupe du monde 2006, et depuis dimanche dernier, l'absence de Toni Erdmann au palmarès cannois au profit d'un Ken Loach somme toute très moyen.
En effet, au delà de ses qualités intrinsèques évidentes, le troisième film de Maren Ade (jusque là inconnue au bataillon cannois malgré un Ours d'Argent en 2009) est une bouffée d'air frais, une expérience de cinéma d'une intensité rare et surtout une comédie absolument hilarante, et ce malgré un sujet de départ a priori relativement morose : un père potache et complètement imprévisible est forcé d'adopter une fausse identité pour renouer le contact avec sa fille, femme d'affaire austère et complètement dénuée d'humour.
Mais rapidement, le film parvient à dépasser cette opposition simpliste pour dresser un tableau ambigu et complexe d'une relation instable mais profondément touchant. Sans jamais sombrer dans la grossièreté gratuite ou la cruauté, Ade parvient à installer une distance parfaite vis à vis de ses personnages, enchaînant scènes profondément farcesques et moments de grâces sortis d'à peu près nulle part, jusqu'à combiner ces deux pôles narratifs dans un final tout bonnement époustouflant. Au delà d'une véritable maîtrise narrative et d'une direction d'acteurs impeccables, Maren Ade met en scène son film d'une main de maître et ce, sans effets de mise en scène particulièrement criards ou exhibés, mais en sublimant le détail et le trivial, en transformant une simple étreinte en une des scènes d'amour familiales les plus touchantes de ces dernières années, en faisant d'une fausse prothèse dentaire le vecteur d'une véritable philosophie de vie.
Et ce en cela que l'absence de Toni Erdmann est une véritable injustice : c'est une expérience de cinéma profondément bouleversante, infiniment plus subtile (je ne considère pas par exemple que la fin représente la victoire d'un système sur un autre, comme l'avance Xavier Leherpeur fans la septième obsession) dans son analyse d'une société à la dérive que d'autre films « bas du front » et pourtant honorés par le jury de Georges Miller (au hasard, le consternant Divines ou le trop austère Moi, Daniel Blake). Et c'est peut être en cela que réside le véritable exploit de Maren Ade : parvenir à créer une expérience marquante au sein de la Mecque de la cinéphagie, il fallait tout de même le faire.