Depuis ses première mixtapes, il était évident que Vince Staples avait ce "truc", où en un couplet, le mec te donnait clairement l'impression qu'il finirait par sortir un classique. Il suffit d'écouter Nate , Hive ou 65 Hunnid pour que la versatilité et le talent teinté de non-chalance du gars te saute à la gueule. Le problème, c'est que jusqu'à ce Big Fish Theory, chaque projet lassait un goût d'inachevé dans la bouche: mixtapes faites à la vite, un Summertime '06 trop inégal mais bourré de fulgurances, et enfin Prima Donna, EP prometteur mais trop court, qui voyait le natif de Long Beach s'accoquinait avec James Blake, pointure de l'électro de fragile.
Et puis, enfin, la déflagration. Crabs In a Bucket (produit par JUSTIN FUCKING VERNON) et son beat tout droit sorti d'un mix de Burial, suivi de Big Fish, qui ferait presque figure de reprise de YG sous acide, bref, en deux morceaux, il est évident que ce Big Fish Theory est loin d'être un album de rap comme les autres, mais quelque chose de beaucoup plus intéressant. Le mot qui revient dans la plupart des interviews entourant la promo du bouzin, c'est "afrofuturisme", et c'est sans doute là que réside la clé de l'album, tant celui-ci semble 10 ans en avance sur son temps. La plupart des morceaux présents ici ne devraient pas marcher, tant ils relèvent souvent d'une espèce de fusion monstrueuse de genres que tout oppose: G-Funk, Indus, EDM/trap grand public, PC Music... Seulement, dieu que ça marche bien.
Là où son voisin californien Kendrick (qu'on retrouve d'ailleurs sur le monstrueux Yeah Right au côté de Flume et Sophie (!)) s'époumonait pour rattraper la production dense dans TPAB, Vince glisse sur chaque morceau avec une aisance presque énervante, sans se laisser dépasser par les développements monstrueux des beats qui l'entourent. Et pour cause, difficile d'envisager un meilleur écrin pour de pareilles prouesses lyriques: loin des chroniques adolescentes de Summertime '06, Big Fish Theory y appose le même point de vue désabusé sur l'Amérique tout entière, souvent violent, mais toujours pertinent. Et cette véritable réinvention de ce que peut être le rap au XXIème siècle (ce qu'aurait dû être Yeezus en somme) prend alors un tout autre sens, comme une porte ouverte vers un océan d'autres possibles dans lequel Vince Staples prend enfin sa place de gros poisson au sommet de la chaîne alimentaire.
9.5/10