Adapté d'une pièce de théâtre écrite par Ted Allan, Torrents d'Amour est à la fois le dernier film (Big Trouble ne compte pas !) et la somme des films du réalisateur phare du cinéma indépendant américain.
Tourné dans des conditions plus que difficiles pour lui, John Cassavetes se porte plus que mal personnellement et met une part autobiographique importante dans l'adaptation qu'il coécrit avec l'auteur de la pièce. Il vient de perdre sa mère et d'apprendre qu'un crabe le ronge et le condamne plus tôt que prévu à partir loin de ceux qu'il aime, Gena et leurs trois enfants. Le tournage se passe en grande partie dans la maison du couple Le personnage qu'il se donne à jouer était d'abord destinée à un autre (John Voight) et se fond dans le personnage de cet écrivain alcoolique en manque d'amour, immature qui fuit les responsabilités. Même au milieu de son harem, il est isolé. Il lui donne de lui tout autant qu'il l'interprète et dès les premières secondes, on sent qu'il est à sa place et qu'elle n'aurait pas pu être mieux occupée par un autre. Le réalisateur ne donne aucun élément rassurant au spectateur pour qu'il puisse prendre ses repères. Qu'ils soient narratifs ou temporels il nous laisse dans le vague et entraîne le spectateur dans un vertige cinéphile sans rien à quoi se raccrocher. On n'apprend d'ailleurs qu'au bout d'une heure et vigt minutes le lien qui unit les deux personnages principaux.
"La vie est une suite de divorces, de suicides, de promesses non tenues et de gosses bousillés"
La chute !
Celle de Sarah également ! Une femme trop aimante, trop proche des siens et qui a fini par acculer son mari Jack (Seymour Cassel) au divorce et sa fille à ne plus vouloir la voir. Elle veut tout donner à ceux qu'elle aime et révèle une force d'amour qui condamne toute réciprocité. Elle se voit confrontée comme Robert à l'impossibilité de voir son désir d'amour prendre forme, devenir réalité.
Tous les thèmes chers à J.C. sont réunis ici. C'est pourquoi je parle de film somme. La famille, le spectacle, le couple... On retrouve de nombreux clins d'oeil/hommage à ses opus précédents. De Faces, à Opening night en passant pas Meurtre d'un bookmaker chinois, Gloria à Une femme sous influence ou Faces dans sa somptueuse séquence finale dans les escaliers de la maison des Cassavetes. Toutefois la caméra n'est plus en roue libre comme elle pouvait l'être quand elle filmait la folie de Mabel Longhetti. Elle est docile, comme apprivoisée et s'autorise à rester en place pour des plans fixes et un cadrage travaillé.
Il ne faut pas pour autant que le cinéphile étranger à l'auvre de cassavetes se prive du plaisir de découvrir Love Streams s'il ne maîtrise pas la filmographie de l'auteur. Il ne restera pas pour autant sur le bord de la route et se sentira malgré tout partie prenante de la relation antre Sarah et Robert.
L'argent a une place de choix ici chez ses personnages;
On peut tout acheter. Robert la compagnie de femmes, son ex, son fils, l'impression de compter pour les autres, qui lui permet de vaincre son immense peur de la solitude. Sarah, s'achète une santé mentale. Elle part en Europe comme un autre va à la pharmacie du coin, avec quelques bagages en plus.
Il filme Sarah/Gena avec des plans lumineux, souvent extérieurs et rapprochés alors que lui est filmé en intérieurs, dans l'obscurité et distants.
Difficile en tout cas de bien aborder cette oeuvre singulière qui parle à l'intime de chacun, bouleverse par la richesse esthétique, sémantique et analytique des personnages et du film en lui-même. La symmbolique est riche autant psychanalytique que religieuse mais cette scène finale qui voit l'homme dire à la femme "Tu es la seule que j'aime" sonne comme une déclaration somptueuse.
Ours de d'or à la Berlinale 1984. (il y a déjà 30 ans !)