Enfants de guerre
Totto-chan, la petite fille à la fenêtre contient deux films : la petite histoire (celle des enfants et surtout celle de l'école atypique dans laquelle ils sont) et la Grande (celle des adultes). À...
le 8 déc. 2024
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Le festival d'Annecy est le lieu où l'on peut voir les plus grands réalisateurs dans le secteurs de l'animation, mais aussi celui où l'on peut voir les futurs talents du secteurs. La Compétition Contrechamp pouvant accueillir des cinéastes bien établis comme Bill Plympton et son Duel à Monte Carlo del Norte, les places en compétition sont de plus en plus chère, et il serait peu dire que l'édition 2024 peut être un excellent exemple à comment le festival peut être très sélect quant aux artistes émergents mis en avant en compétition officielle. Aux côtés de retours comme celui de Claude Barras, Jean François Lagioni, de Vincent Paronnaud et Alexis Ducord, d'Adam Elliot ou encore Gintz Zilbalodis, il est certain que les places se font de plus en plus chère et que les réalisateurs émergents se devaient d'être à la hauteur pour pouvoir concourir pour le Crystal du Long Métrage. Parmi les heureux élues on pouvait trouver Maria Trenor et son film Rock Bottom qui fût une très grosse surprise, ou encore Shinnosuke Yakuwa et son film Totto-Chan, la petite fille à la fenêtre. qui n'était pas parmi les films les plus attendus, ni des favoris. Cela fait un moment maintenant que les films d'animation japonais en animation 2D traditionnelle n'ont plus vraiment la côte auprès du jury. Mis à part l'envoutant Tunnel to Summer, the exit of goodbyes qui a inaugurer le prix Paul Grimault l'année dernière (ex mention spéciale du jury), il faut remonter jusqu'en 2018 pour retrouver un long métrage d'animation japonais récompensé en compétition officielle. Rajouter à cela une compétition très musclée aux propositions très percutantes, il était alors surprenant de voir que Totto-Chan, la petite fille à la fenêtre ait pu créer la surprise jusqu'à remporter le prix Paul Grimault, et c'est en voyant le film qu'on comprend pourquoi.
Le film nous montre toute la poésie et la candeur qui entoure l'enfance de Totto-Chan, comme si celui-ci essayait de figer dans le temps quelque chose qui est amené à disparaitre. On le voit notamment dans le choix des couleurs et du design singulier des personnages qui rappellent les fresques Kakejiku ou même les poupées en porcelaine japonaise. L'univers du film est une beauté fragile, dont le moindre bouleversement pourrait l'écailler, voire même se briser à tout moment. A travers l'énergie et la joie de Totto-chan, qui peut paraitre excessif dans un premier temps dans une première parti que je trouve pas représentative de la subtilité du long métrage (on y reviendra plus tard), on est amené à voir la vie sous son plus beau jour. Les personnages sont gentils, drôles, touchants, ouvert auprès de la situation de Totto-chan qu'on devine compliqué (sans que l'on tombe dans des extrêmes qui auraient été hors sujet), et à l'image de Totto-chan, on prend plaisir à voir des enfants s'épanouir dans un monde qu'on voudrait figer dans le marbre. Tout le long du film, on aura des variations dans l'animation, passant par moment à des phases plus abstraites et surréalistes, où le dessin est mis en avant comme étant lié à l'imaginaire, que ce soit celle d'enfants jouant avec des animaux, ou s'amusant à la piscine. On a ainsi cette identification du dessin et de l'imaginaire comme étant un lieu de joie et d'évasion face à une réalité qui cherche continuellement à resituer la vie de Totto-chan face aux événements de l'Histoire. C'est pourquoi, les moments de rêves vont peu à peu trouver matière et corps en une animation allant jusqu'à l'imitation de l'animation de papier et de marionnette pour contraster par rapport au temps où les rêves étaient libre de vagabonder dans que la réalité ne rattache les pensées des enfants à des thématiques et des événements qui les dépassent. En cela, le film trouve une cohérence et une pertinence formelle remarquable, mais ce n'est qu'une parti d'un grand ensemble d'une beauté hallucinante.
Le film amène à réfléchir sur une période très marquante de l'histoire japonaise, et comment il faut vivre avec un passé douloureux. Comme dit précédemment, il est question de mettre en image une période qu'on dirait presque pris dans l'ambre, dans un portrait presque idyllique de la vie, et peu à peu confronter ce portrait à la dure réalité des faits qui est viscéralement douloureux à voir. Je soulevais quelques réserves quant à la séquence d'ouverture introduisant Totto-chan et sa capacité à s'intégrer dans une classe ordinaire, grandement accompagné par un doublage français franchement exécrable qui n'arrange rien (non merci Eurozoom pour celui-là, on peut comprendre l'économie de budget sur les personnages tertiaires et que le problème n'est que jusqu'à l'arrivé de Totto-Chan dans sa nouvelle école, mais là on est pratiquement sur du foutage de gueule, même dans la bande annonce l'enseignante on dirait les doublages marocains bas de gamme de chez Casablanca). Cette phase peut paraitre lourde sur le moment, avec une présentation d'un idéal artistique japonais que le film dit ouvertement exclure (avec notamment une scène où Totto-chan dessine un soleil, en référence au drapeau japonais, en débordant joyeusement de la feuille et en représentant le soleil japonais de manière non académique, ou même de manière plus subtile avec le jeu de l'enseignante très expressif qui est courant dans l'animation japonaise et qui est lié à l'héritage du théâtre kabuki), mais qu'on est presque amené à regretter tant la deuxième partie vient à être triste et profondément éprouvant émotionnellement parlant. Alors que je ne suis pas du naturel à pleurer devant un film, j'ai dû littéralement batailler devant certaines scènes qui étaient douloureuses à entendre tant le film arrive à être sobre et très délicat dans ses effets, malgré le caractère purement déchirant du récit. Il est avant tout question de raconter la vie d'enfants durant la seconde guerre mondiale et pourtant, même s'il est question de parler d'événements ayant profondément briser la vie de ces jeunes enfants, il n'est pas tant question de rester sur les faits. Il n'est pas tant question de surenchère, ni même aseptisation du témoignage, juste une reconstitution quasi parfaite d'un état d'esprit et d'une période que le personnage a vécu. Il aurait été facile de passer outre les événements pour se focaliser que sur la joie de vivre, tout comme il aurait été facile de ne rester que sur l'horreur de la fin de la guerre. Pourtant, le film fait le choix du juste milieu, et y arrive parfaitement. Contrairement à des films comme Kensuke's Kingdom qui peuvent souffrir de trop éclipser l'horreur de la guerre, ici le film entretient tout du long la dure réalité à venir à travers un travail de la mise en scène remarquable (parfois mal, mais on y reviendra plus tard). Dès son ouverture, les toutes premières paroles de Totto-chan sont pour resituer la période où se place le récit (dans une démarche qui peut laisser perplexe, on y reviendra plus tard), et imposer que l'on regarde le récit qu'à travers cette . Cela peut aller du détail anodin comme une discussion entre japonais qui sont naïvement ravis de rentrer en guerre contre les Etats-Unis, ou même la répétition du symbole de la chute, que ce soit celle d'une pièce de monnaie dans un bocal ou celle d'un porte monnaie qui représentent ce à quoi vont vivre les personnages. Le personnage qui représente au mieux cela reste Yasuaki qui est un enfant qui est un enfant (dont vit dans le même monde que Totto-chan) mais qui connait la dure réalité et qui sera amené à pouvoir vivre la même joie de Totto-chan malgré sa condition. Pourtant, malgré tout, cela reste un personnage comme les autres, amené à être vecteur de moments doux et heureux pour l'héroïne. Il aurait été tout aussi facile pour le film de se concentrer que sur la part sombre, à l'image d'un Tombeau des lucioles, et de tomber dans une forme de pessimisme qui exploiterait la joie de Totto-chan pour du torture porn misérabiliste et sensationnaliste. Tout est fait pour trouver un juste équilibre entre l'envi de se plonger dans ce passé, mais aussi trouver la force d'avancer afin de ne pas rester dans l'immobilité. Il n'est ni question de regretter le passé ni de le rejeter, mais de vivre l'instant présent sans se préoccuper d'un futur incertain, toute la morale du film se comprend là dedans. Le symbole fort de cela reste l'école où Totto-chan se sent le plus à l'aise qui n'est pas un bâtiment fixe, mais un train dont on monte et dont on est amené à descendre pour possiblement prendre un nouveau. Ce n'est pas tant un hasard si Totto-chan se rêve contrôleuse, gardant les tickets des personnes rentrant ou non dans un train.
Malheureusement, le film n'échappe pas à certains problèmes. D'une part, dans une volonté d'installer ce cadre très particulier, où la douceur doit laisser place à l'horreur, le film prend son temps et va dans l'économie de temps. Si la démarche est pertinente, celle-ci ralenti drastiquement le rythme du film jusqu'à en être parfois laborieux à suivre, surtout que celui-ci fait 2h, ce qui est particulièrement long pour un long métrage d'animation japonais. D'autre part, de manière beaucoup plus personnelle, même si le film est brillamment écrit et exécuté, il n'empêche que l'on peut s'interroger sur la fin du film et sur la manière dont le film a pu entretenir son arrivée. Il y a tout une démarche d'ouverture de l'univers de Totto-chan au monde, notamment à travers l'utilisation de gimmick de mises en scène très moderne et occidentale lorsque Totto-chan va pour surprendre sa mère ou lorsqu'une rêverie de Totto-chan va pour rendre hommage à Gene Kelly. C'est rafraichissant, c'est pertinent et ça fonctionne admirablement bien avec l'univers du film qui cherche à allier la réalité du Japon durant la guerre, et l'imagination de Totto-chan qui permet des incursions modernes. Pourtant, cela demande une maitrise totale de son propos, et éviter les maladresses. Je parlais du symbole de la chute d'un objet, que ce soit dans un bocal ou ailleurs. Ces motifs fonctionnent car raisonnant avec l'histoire japonaise, mais aussi grâce aux connaissances du spectateurs vis-à-vis de la seconde guerre mondiale, de comment celle-ci s'est terminée et comment cela a eu un impact dans l'histoire du Japon. Le soucis étant que l'histoire du Japon est dense, que les motifs utilisés pour raconter le climax du film sont les mêmes que ceux utilisés par d'autres films pour raconter une parti tout autre de l'histoire (dans le même registre, je peux mentionner de nouveau Kensuke's Kingdom dont la backstory de Kensuke est brillamment raconté à travers le motif de la tache d'encre atterrissant sur la feuille de papier). Il n'est pas tant question de malhonnêteté intellectuelle, mais lorsque l'on vient à ramener ce genre de mises en scène, accompagné par une ouverture très efficace avec les dates de la seconde guerre mondiale, il devient difficile pour le spectateur de ne pas penser à des événements d'une ampleur tout autre. L'épilogue de fin devient presque "décevante" tant on a entretenu l'ombre d'une horreur qui n'aura pas lieu de la manière dont on peut s'attendre. J'ai presque l'impression que cela relativise presque la situation de fin car la plaçant involontairement face à des moments beaucoup plus marquant et parlant du grand public, et qu'on aurait cherché à teaser un drame abominable pour cultiver la pitié du spectateur (chose qu'il ne fait pas vraiment en réalité). Cela n'enlève en rien la capacité du film à délivrer des images fortes qui sont bouleversante de justesse.
Totto-chan, la petite fille à la fenêtre est l'une des expériences les plus bouleversantes et déchirante que j'ai pu voir en salle depuis un moment. Une justesse et une poésie folle au service d'un récit important et nécessaire, qui émeu autant qu'il fascine, et dont on peine à trouver d'équivalent. Rarement un film vous mettra autant au bord des larmes.
16,5/20
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il y a 3 jours
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