Il est assez facile de déterminer en quoi Touchez pas au grisbi est un grand film. Son générique à lui seul a valeur d’argument d’autorité : Becker, Gabin, Ventura. Les comédiens en imposent par leur seule présence, et lorsqu’ils ouvrent la bouche, la gouaille et l’argot qui les caractérise semblent graver dans le marbre atemporel la facture classique du récit dans lequel ils évoluent. La photographie est de haute facture, les ambiances musicales typées, à l’instar de ce leitmotiv de la danse, déjà bien présent dans Rendez-vous de juillet et Casque d’or, assorti de ce petit plus qu’est le motif musical de l’harmonica qui vous signe tout ça à la manière d’un Morricone, pour les siècles des siècles, amen.
Alors voilà, on s’incline, on se plie à la loi de la postérité ?
Non. Becker est suffisamment talentueux pour qu’on puisse exiger de lui davantage. Ce film m’a laissé dans une indifférence totalement inattendue. Alors qu’on peut souvent trouver des explications à certaines irritations (l’ennui, l’incompréhension) dans des œuvres exigeantes, ici, tout semble y échapper : je ne vois aucune justification à la lenteur phénoménale du récit (pas de tensions sous-jacente, pas de naturalisme non plus da ns ces scènes de repas, de coucher), pas plus que je ne trouve séduisantes ces caricatures de monstres sacrés qui posent leur stature feutrée de colosses inamovibles. Je ne vois pas d’intérêt à cette intrigue on ne peut plus linéaire, et si j’ai un temps attaché de l’attention à la thématique des héros vieillissants, c’est pour accroitre la déception de voir cet enjeu totalement délaissé par la suite.
Le film noir a des vertus généralement sombres et cyniques qui ne transparaissent pas non plus ici : il ne suffit pas d’insulter ou de gifler des femmes à tour de bras pour y prétendre, et tout cet exercice de style est plus plaqué et artificiel que réellement habité.