Ce film est un véritable classique du film noir français sur le milieu de la pègre mis à la mode par les romans d'Albert Simonin, publiés dans la célèbre Série Noire des éditions Gallimard. Un film qui dépoussière le vieux polar tragique au ton mélo pour en faire un grand film noir pouvant faire jeu égal avec les films noirs américains, mais en évitant certains codes et clichés. Déjà, Simonin avait mis en lumière une mythologie du truand français avec le côté pittoresque du milieu, une sorte de folklore où le langage argotique par sa crudité savoureuse et ses effets, faisait sourire le bourgeois cherchant à se détendre.
Mais Jacques Becker balaye l'anecdotique et se concentre sur les rapports humains, filmant l'amitié virile, le vieillissement, la désillusion, l'intimité en posant littéralement les bases d'un cinéma noir français que l'on verra ensuite dans d'autres films. Il fait ressortir la vérité humaine psychologique des personnages qui chez Simonin étaient des stéréotypes, il montre comment s'organisent les coups en marge de la loi, présente des truands fatigués et désireux de mener une vie bourgeoise.
A ce compte-là, Touchez pas au grisbi est moins un film d'action qu'une définition d'univers social, car le fond du sujet qui est un dernier casse avant de se retirer, n'a rien de particulièrement original, ce qui compte, c'est l'analyse du monde du truand, qui peut présenter un seul petit inconvénient : on ressent de la sympathie pour Max ou Riton, car ne l'oublions pas, ce sont avant tout des gangsters. Mais ce portrait dressé par Becker est tellement humain qu'on en vient à souhaiter qu'ils s'en sortent ; heureusement la morale est sauve, le magot ne profite à personne à la fin.
Pour Gabin, c'était un second souffle, son éloignement des plateaux pour cause de guerre lui avait fait perdre la faveur du public, et c'est avec ce film qu'il voit sa carrière relancée, grâce à son personnage de Max, au jeu très sobre et naturel, montrant une certaine élégance dans l'honneur au sein du milieu, il conditionne la plupart des rôles qu'il va tenir dans les années qui vont suivre. A ses côtés, débutait un ancien catcheur qui se risquait pour la première fois au métier d'acteur : Lino Borrini qui devient bien vite Lino Ventura et qui déjà à 34 ans, faisait preuve d'une étonnante sûreté de jeu et d'une présence charismatique face à Gabin. A signaler enfin la musique de Jean Wiener avec l'air lancinant et mélancolique joué à l'harmonica, et nous avons là une petite perle du polar français, à l'ambiance très caractéristique.