Elle, c’est la caméra. Celle de Claude Lelouch (30 octobre 1937 - ), celles de Claude Lelouch, depuis la toute première, offerte par un père trop tôt disparu, jusqu’aux multiples que l’infatigable réalisateur manipule encore, à quatre-vingts ans passés. C’est aussi celle que le réalisateur Philippe Azoulay, véritable homme-orchestre également à l’image, au son, au co-montage et à la co-production, a braquée pendant sept ans sur son illustre aîné qui s’amuse de son propre personnage, de son goût insatiable pour l’état amoureux, de son appétit de vivre et de filmer, et qui concurrence en jouant son prolifique confrère outre-Atlantique, Woody Allen.
Elle, c’est également la Terre, qui semble tourner à toute allure sous les pas de Lelouch, surtout lorsqu’elle se trouve figurée par les fragments de cartes un peu schématiques que Philippe Azoulay place sous nos yeux pour nous permettre de suivre les multiples déplacements de l’inlassable globe-trotter, à l’occasion de ses divers tournages. Un moyen certes un peu scolaire de ne pas perdre le spectateur en chemin, mais qui a du moins le mérite de la clarté et de la brièveté. Le montage lui-même, par moments, s’emballe et adopte passagèrement le rythme d’un clip, notamment pour donner place à la moisson d’images rapportées du foisonnant voyage en Inde, provoqué par le tournage de « Un + une » (2015).
Elle, c’est la femme et, à travers elle, les femmes, toutes les femmes, comme ce personnage de Lelouch qui voudrait n’aimer qu’une seule femme, mais ne peut s’empêcher de les aimer toutes. À l’image de Lelouch lui-même et de ses sept femmes successives, pourvoyeuses d’une ample descendance, souvent d’ailleurs également féminine. Tournoiement de femmes autour du réalisateur, particulièrement impressionnant lors du tournage de « Salaud, on t’aime » (2014), dans son chalet alpin qui rassemble tout ce joli monde, au milieu duquel évoluent Sandrine Bonnaire, Johnny Hallyday et Eddy Mitchell.
Elle, c’est la pensée de Claude Lelouch, toujours en mouvement, toujours créative, ainsi qu’en témoignent les nombreux scénarios qu’il dépose régulièrement à la Sacem, toujours en reconversion, comme lorsqu’il n’en finit pas de réécrire un scénario même en cours de tournage, au risque - un risque d’ailleurs assez jubilatoire pour lui… - de dérouter ses acteurs. Un perpétuel mouvement qui peut aussi sauver la mise, comme lorsqu’un aigle dressé décide soudain de disparaître pour quelques jours, sans certitude de retour… Est-ce à cause de ce tournoiement incessant que Claude Lelouch affectionne tant les moulins à prières rencontrés en Inde ?
Elle, c’est la musique, celle qui tourne et emporte Claude Lelouch, celle aussi, de son fidèle ami Francis Lai, vers lequel le cinéaste n’a cessé de revenir, jusqu’à la mort du compositeur, en 2018. Une musique de laquelle Philippe Azoulay ne se détourne pas, puisque le groupe C2C crée la musique de « Tourner pour vivre » en s’inspirant des compositions de leur illustre prédécesseur au beau visage calme de vieil Indien d’Amérique.
Elle, enfin, c’est la vie, la vie même, celle dans laquelle Lelouch puise à pleines mains son inspiration, celle à laquelle il aime à emprunter des morceaux volés lors de ses tournages, celle qu’il recherche dans le jeu de ses acteurs, puisqu’il n’est jamais si heureux que lorsque l’authenticité est atteinte, que lorsqu’une émotion vraie submerge le jeu de celui qui, soudain, ne se contente plus de « jouer ».
Le documentaire de Philippe Azoulay se voulait hommage à l’œuvre et à la démarche créative de Claude Lelouch. L’objectif est atteint. On quitte la salle avec le désir de revoir ou de découvrir de façon exhaustive la filmographie de cet homme toujours en mouvement, de cet homme si intensément vivant.