Claude Lelouch n'a qu'un seul Dieu : le Cinéma. Son zèle exclusif et inconditionnel lui a valu des succès planétaires ("Un homme et une femme") ainsi que de nombreux échecs. Sa lucidité tranche dans le vif : "J'ai été infidèle à mes femmes, j'ai été infidèle à mes enfants. J'ai toujours été fidèle au cinéma." Une curiosité insatiable le pousse en avant. Qu'importent le passé et ses échecs ? C'est le présent qui compte et les projets à réaliser.

Pourtant le culte des images animées peut s'enliser dans la facilité. Un film ne vaut que par ses moments de grâce. Montrer le perpétuel renouvellement du monde, cette quête interminable, accouche rarement d'un chef-d'oeuvre. Philippe Azoulay fait connaître l'Inde à Claude Lelouch pour un prochain film ("Un + une"). Mais qu'en apprend-il ? Y tourner un carrousel d'images colorées, déconcertantes et spectaculaires ? Son équipe saute de trains en trains, accumule impressions et fatigue. Tous se bercent d'illusions, entraînés dans la danse chatoyante des sept voiles de Maia.

"Tourner pour vivre" échappe parfois au culte prosaïque des images. Quand un aigle apprivoisé, indispensable acteur du film, s'envole et disparaît dans la montagne, le désarroi de l'équipe de tournage me touche. Que faire s'il ne revient plus ? Ou quand Amma prend ses visiteurs dans ses bras pour une étreinte d'amour. Instants rares, intenses et véridiques. Contrebalancés par une incompréhension sidérante des réalités de l'Inde. Le jeu de mots idiot de Jean Dujardin, déconcerté par des sadhus, en dit long sur son ignorance. Et cette actrice que j'apprécie, Elsa Zylberstein, s'empresse de rire bêtement à la blague lourdingue...

Philippe Azoulay réussit un portrait attachant de Claude Lelouch grâce à sa longue fréquentation (sept ans) de l'homme et du cinéaste. Nous découvrons un patriarche entouré d'acteurs mais aussi d'une ribambelle d'enfants et de petits-enfants. Omniprésent, il manie la caméra, la perche du son, écrit ses scénarios, sollicite Francis Lai pour la musique, travaille en duo au montage. Il philosophe volontiers sur le temps qui passe, la fertilité du chaos, le sens de la vie et sur bien d'autres choses, coupées au montage par le réalisateur.

Lelouch veut réaliser trois films en trois ans, jongle avec cinq scénarios, annonce cinquante films à son tableau de chasse. Il jalouse amicalement Woody Allen dont le palmarès est supérieur. Une telle obsession du quantitatif n'est-elle pas largement illusoire ? Car un film n'est sauvé que par ses fulgurances, ses oscillations multi dimensionnelles en une spirale ascendante et lorsque, échappant à la pesanteur, il exulte entre le mystère et la grâce.

lionelbonhouvrier
7

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le 7 mai 2022

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