Ce film d'Alain Corneau est un peu un OVNI dans sa filmographie qui me semble comporter plutôt des polars ou des films d'action. Là, il a adapté un roman consacré à la vie du musicien Marin Marais.
C'est un film austère dans lequel le jeune Marin Marais sollicite Monsieur de Sainte Colombe pour qu'il lui enseigne l'art de la viole de gambe dont il est le maître de l'instrument à l'époque. Mais les choses ne sont pas simples car Monsieur de Sainte Colombe est un homme brisé par la mort de son épouse et qui vit reclus avec ses deux filles Madeleine et Toinette à la campagne. C'est un homme dur, exigeant et d'une grande sévérité. Il voit clair dans ce jeune Marin Marais qui ambitionne d'atteindre, par le biais de la musique, la Cour. "Vous faites de la musique, Monsieur, vous n'êtes pas musicien"
Je ne connais pas le roman mais le film est très habilement monté car démarre sur le vieux Marin Marais assoupi, qui bougonne, énervé par ses élèves, et se remémore, sans concession, sa jeunesse, son apprentissage, ses premières amours, ses trahisons, ses lâchetés surtout…
Au-delà de l'histoire proprement dite, le film est un régal pour les yeux et pour les oreilles. La photographie d'Yves Angelo, y est très belle en particulier les prises à contre-jour où les personnages apparaissent dans un écrin de verdure mais aussi des prises de campagne verdoyante donnant l'impression de véritables tableaux. Bien sûr, la musique du XVII -ème, orchestrée et arrangée par Jordi Savall est somptueuse. Elle démarre par un (profond et délicieux) morceau de Couperin chanté par la soprano Montserrat Figueras et se poursuit par diverses pièces de Sainte-Colombe ou Marin Marais avec un intermédiaire (presque choquant et brutal dans le film) de Lully (ballet de la pièce du "bourgeois gentilhomme") marquant l'opposition entre la musique intimiste de Sainte-Colombe et la musique de cour à laquelle aspire Marin Marais…
Coté casting, Jean-Pierre Marielle joue le rôle de l'atrabilaire et sévère Monsieur de Sainte-Colombe et réussit même à dégager un peu de compassion de la part du spectateur. Bien que son comportement égocentrique vis-à-vis de ses filles et de Marin Marais soit à la limite de l'inacceptable, il faut bien avouer que la vie du musicien complètement intériorisée et vouée à la musique force le respect.
Le rôle de Marin Marais est assuré par deux acteurs Gérard et Guillaume Depardieu. Ce choix me parait assez astucieux en opposant le "viveur" et cynique Gérard Depardieu (même lorsqu'il est jeune) à l'ascétique Jean-Pierre Marielle qui finit par accepter qu'il soit son héritier après une dernière "première leçon".
Mais le rôle le plus émouvant du film est celui d'Anne Brochet qui joue à la perfection le personnage de Madeleine, la fille ainée Sainte-Colombe, le trait d'union entre tous les personnages du film. Rétrospectivement, la dernière scène entre elle et Marin Marais est d'une grande beauté douloureuse et aussi d'une grande violence masquée par le morceau "la rêveuse" de Marin Marais qu'il avait jadis composé pour elle.
Très beau film très esthétique qui est une belle illustration de l'éternel débat : l'art pour l'art ou l'art pour plaire.