En ce qui me concerne, mais je pense que c’est un sentiment largement partagé, ma relation de cinéphile au cinéma de Claude Lelouch est complexe, variant de grands plaisirs à de fortes désillusions, un cinéma qui flirte donc entre sommets et abysses qui ont de quoi déstabiliser son public. C’est un cinéma très divers, où seule la capacité du cinéaste à vouloir surprendre est constante. Mais il faut avouer que le résultat est quelquefois raté. Il n’y a pas que la “critique” officielle, celle des journalistes, qui boude par moments son plaisir. N’en déplaise à monsieur Lelouch, par trop obsessionnel sur ce point me semble-t-il depuis quelques temps. Le public s’y perd aussi un peu depuis un certain nombre d’années.
A l’époque de Tout ça pour ça, la relation au public de Lelouch est encore plutôt bonne. Le cinéaste enchaîne les succès. Son obsession maladive contre les critiques n’est pas à son paroxysme. Ses marottes métaphysiques commencent à prendre de l’importance. Mais fort heureusement selon moi, Tout ça pour ça constitue une sorte de pause, plus légère, plus terre à terre dans la filmographie de plus en plus perchée de l’auteur (avec sans doute La belle histoire, le film précédent, comme le plus mystique).
Dans Tout ça pour ça, il faut gratter pour aller chercher le fond “surnaturel”. Il y a bien cette constellation de personnage plus ou moins liés entre eux par un destin commun : cette cour de justice où ils se retrouvent tous à la fin. Ce film choral (par définition une belle illustration de cette structure narrative) n’a toutefois pas l’ambition métaphysique de bien d’autres films de Lelouch.
Le sujet majeur abordé ici est la fidélité ou l’usure du couple, cette question centrale : “qu’est-ce qui fait que deux êtres forment un couple?” Autour de celle-ci, d’autres questions annexes tournoient en satellites : le sexe, l’a complicité, l’amour, l’interdépendance, la possession ou la confiance. Claude Lelouch adopte une tonalité comique la majeure partie du film, mais s’octroie quelques petits pics de tension dramatique. Tout ça pour ça est une comédie qui se veut profonde tout de même.
Reste que les personnages empruntent par moments des chemins de traverse véritablement comiques, un peu ridicules, grossiers ou grotesques sinon (dans le bon sens des termes, ceux de la farce médiévale ou du vaudeville par exemple). Si bien que le trajet de vie des 3 Pieds Nickelés que représentent Vincent Lindon, Jacques Gamblin et Gérard Darmon paraît répondre à un jeu de l’amour et du hasard plus grave, mais néanmoins ridicule des deux couples Francis Huster/Alessandra Martines et Fabrice Luchini/Marie- Sophie L..
Dans une première partie chaotique pour les personnages comme pour le public, où la complexité de la trame occupe l’attention du spectateur, on a tout intérêt à ne pas décrocher. C’est compliqué. Beaucoup de personnages, beaucoup de trajectoires parallèles dont on peine à comprendre les éventuels liens. Mais dans la deuxième moitié du film, tout l’écheveau mis en place fait sens, beaucoup plus limpide et donne même une saveur particulièrement agréable, celle de l’accomplissement. Et le spectateur de se dire : “Ah oui, tout ça pour ça, ok!”
Et l’on reste dans une comédie résolument comique avec un procès de plus en plus irréel, farfelu. C’est pour cela que j’évoquais plus haut la farce, avec ses aspects grotesques, fantasmagoriques, protubérants, avec son issue absurde, comme un conte pour enfants malicieux qui s’amuse des tourments du cœur. On n’est pas sérieux quand on aime. J’aime beaucoup, et je suis sérieux, cet aspect du film : qu’il parvienne à traiter d’un sujet sérieux avec légèreté, sans esquive pourtant. Parce qu’au delà de l’humour affiché, le sourire se fige, l’amour (et la déception de ne pas le partager) crée de véritables douleurs. Le film ne nous les cache pas. Il les intègre parfaitement à l’ensemble, n’édulcore rien. Certes, la comédie se nourrit très souvent de la cruauté humaine. Ici, cela se joue de façon tout à fait naturelle.
On le doit essentiellement à l’écriture de Claude Lelouch, à la finesse de son scénario. Là-dessus sa légendaire direction d’acteurs, laissant beaucoup de liberté aux comédiens, permet à ces derniers de proposer des jeux très audacieux; qui semblent parfois improvisés, mais en fin de compte créent un spectacle lelouchien singulier. Le plaisir de jouer transparaît, évident, franc, d’une netteté stupéfiante. On est toujours dans l’enfance : il y a de l’espièglerie, un goût immodéré pour le merveilleux. On peut être amené sur certaines scènes à trouver cela excessif : un comédien qui en fait trop, un autre qui rate une marche. On peut trouver que le propos est par trop naïf, mais dans l’ensemble je suis plutôt satisfait de revoir ce film.
Les acteurs sont bons. Il y en a que je suis ravi de voir évoluer. Jacques Gamblin dans son rôle plein d’insécurité paraît manquer de sûreté dans son jeu, mais il est touchant. Vincent Lindon, très jeune et déjà d’une étonnante force, me convainc de suite à tous les niveaux. Gérard Darmon est d’ores et déjà à un âge où l’expérience et la maturité sont évidents. Très juste, le lion est majestueux.
Fabriche Luchini est aussi une espèce d’animal bien dangereux, surtout dès lors qu’on lui lâche complètement la bride, ce que ne manque pas de faire le coquin Lelouch. Donc le cabot cabotine, avec l’outrance d’un cheval sorti de l’enclos. Cela peut plaire ou irriter selon l’humeur ou la capacité d’adhésion du spectateur. Je suis davantage client de ses excès. Ils me paraissent maîtrisés la plupart du temps et jouer avec la ligne jaune de façon subtile. Je le perds un peu sous la tente, unique moment où cela dépasse un peu les bornes selon moi.
Francis Huster est un comédien sympathique mais dont je n’arrive pas à apprécier le jeu. Pratiquement jamais. Une fois de plus, je ne suis que très rarement convaincu. Dans Tout ça pour ça, il joue un rôle en réalité casse-gueule, celui d’un juge qui joue au feu avec sa maîtresse et son épouse, de manière très ambiguë, se rendant compte à quel point sa femme l’aime.
Chez les dames, venons-en, je ne suis pas non plus porté par un enthousiasme démesuré. Marie-Sophie L a un personnage plutôt facile à incarner et s’en tire de manière tout à fait correcte. Par contre, Alessandra Martines doit jouer un personnage autrement plus difficile, hystérique, passionné, agressif, blessé et elle en fait des caisses, joue même très mal certaines scènes. Il faut souligner à ce propos qu’a posteriori, quand on sait que Lelouch va épouser Alessandra Martines et vient de quitter Marie Sophie L, cette histoire d’adultère et aussi la façon très sensuelle, voire érotisante dont il filme les nus d’Alessandra Martines, on ne peut s’empêcher de trouver ces ambiguïtés un brin malsaines. Peut-être que l’embarras me prédispose donc à trouver que les actrice ne sont pas aussi à l’aise qu’elles le devraient?
Je m’en voudrais de conclure sur ce bémol. Aussi, je m’empresse d’ajouter que la musique associant le travail de Francis Lai et celui de Philippe Servain m’a bizarrement plu. J’imagine pourtant très bien que d’aucuns n’apprécient pas : c’est très particulier, cette voix gutturale, forcée, cela pourrait taper sur le système de beaucoup. Mais j’aime bien. Sans que je puisse me l’expliquer.
Quoiqu’il en soit, malgré tout de même pas mal d’éléments perturbants, revoir Tout ça pour ça. se révèle très agréable en fin de compte. S’il ne constitue pas l’oeuvre la plus achevée de Lelouch, il s’agit néanmoins d’une de ses comédies les plus loufoques et comiques. Un peu biscornue, elle finit par trouver une sorte d’équilibre qui emporte la mise.
captures et trombinoscope