Scénariste de talent (notamment pour Rivette ou Téchiné) Pascal Bonitzer cultive depuis des années une certaine férocité qui se calque parfaitement aux périodes qu’il traverse, « L’amour par terre » ou « Golden eighties » dans les années 80, « Ma saison préférée » dans les années 90, « Les temps qui changent » dans les années 2000. Bonitzer est aussi un fin lettré qui aime détourner une œuvre ou y apporter sa propre vision, véritable quintessence d’un classique ou d’un fait historique, « Hurlevent » ou bien encore « Jeanne la pucelle ».
Cette passion pour la littérature et ce goût des beaux et bons mots se reflètent dans chacune de ses œuvres, écrites ou réalisées. Réjouissantes la plupart du temps (exception faite de ses propres films), elles sont néanmoins frappées, de fait, par un aspect artificiel, qui pour beaucoup apparaît comme éloigné de la vie réelle. « Les innocentes » ou encore le mésestimé « Valentin Valentin » sont des exemples récents de ses scénarii qui ont provoqué, par excès de verbe, une certaine distance de la part du grand public. Pourtant, si l’on passe outre ces exercices stylisés et que l’on s’attache à l’œuvre dans son ensemble, mais surtout au message qu’il diffuse, il en ressort toujours quelque chose d’essentiel.
« Tout de suite maintenant » porte bien son titre, nous évoluons dans le milieu de la finance (cela aurait pu être n’importe quel domaine marchand du reste) dans lequel Nora (jeune pousse diplômée brillante) doit se faire une place sans états d’âme. Elle est « l’élue », choisie par Barsac, l’un des deux actionnaires principaux de la société, poste qu’il partage avec Prévot-Parades. Le premier, quinqua acéré et sans morale, le second has been dont la « vertu » le pousse vers le bas, obsédé par le banian, cette arbre qui a la faculté pour se développer de phagocyter un autre arbre et de le détruire, mais également de posséder des branches qui retombent vers le sol devenant à leurs tours racines.
La parabole est belle, et à double sens. D’abord parce que Nora semble être une tueuse, qui sera à son tour broyée, mais aussi parce sa filiation fera qu’elle régénèrera un passé. C’est là tout l’intrigue du film. La première partie est d’ailleurs exemplaire tant dans le choix du décor, de la sobriété de la mise en scène que du jeu des acteurs (Agathe Bonitzer, Lambert Wilson, Pascale Grégroy, Isabelle Huppert, Vincent Lacoste et Jean-Pierre Bacri sont excellents). On ressent bien ce malaise palpable de ce milieu professionnel hostile où chacun défend son territoire. Cette méticulosité dans l’approche pesante égale presque « Une étrange affaire » de Pierre Granier Deferre, véritable référence dans le domaine. La musique de Burgalat et la photo de Hirsch contribue largement au malaise.
La seconde partie est un peu plus inégale, la sentimentalité s’imposant, le film perd en puissance et Bonitzer de se réfugier dans une espèce de théâtralité stérile dont le final douceureux peine à convaincre.
Toutefois, on prend un certain plaisir, certes équivoque, à suivre ce film qui reste quand même un beau reflet contemporain du milieu financier celui qui nous gouverne (qu’on le veuille ou non), à l’inhumanisme probant et dont la Responsabilité Sociale de l’Entreprise n’est qu’un concept abscons et surtout intule.