Fermez les yeux et imaginez une femme, non plutôt une mère se tenant devant l'affiche géante d'une actrice, toutes deux de rouge vêtues, que son fils admire et regardez là flancher quand celui-ci s'écroule sous la pluie. Manuela perd son fils. En sommes, Manuela meurt elle aussi sous nos yeux, mais symboliquement. C'est alors que le film d'une simulation passe à la véritable douleur, celle qui prend aux tripes, celle qu'on ne surmonte pas.
En guise de transition, Manuela prend le train. En tout, dans ce film, elle le prendra trois fois, chaque fois vers un nouveau destin: entre sa fuite passée, son retour présent et son apaisement futur. Dans cet enchevêtrement magique des trois états de la femme se mêlent des personnages hauts en couleur comme sait si bien les mettre en scène Almodovar, avec humour, douleur et un sens du drame assez surprenant. Au cœur d'un théâtre, au travers du monde de la prostitution que pourtant elle tente de fuir, auprès de personnage encore plus détruits qu'elle, Manuela se reconstruit. Elle fait le deuil de sa vie et renaît littéralement à elle. Au bout du chemin, elle découvre la vie, elle se réconcilie avec elle et c'est seule (enfin presque) qu'elle repart enfin dans l'autre sens. C'est aussi un hommage flamboyant à la femme sous toutes ses formes que livre Almodovar, quelque chose d'éclatant, où le courage se mêle à la lâcheté, où personne ne semble pleinement définitif, où chaque être est en construction. Agrado en est le plus bel exemple, jouant avec sa modification, sa marginalité, et malgré tout son charisme presque irréel, sur scène en décomptant tout son corps qui n'a plus rien de naturel.
Ouvrez maintenant les yeux, vous avez parcouru un chemin magnifique, où tout s'est détruit pour mieux se reconstruire et surtout où triomphe la vie au milieu du chaos. Vous assistez à une naissance, vous assistez à un chef d'oeuvre. C'est indescriptible, tout est entier dans le cinéma d'Almodovar et d'autant plus dans ce film, où il est le plus vibrant.