Diamant noir
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Rares sont les introductions à planter le décor de la sorte, aussi efficacement, tant en termes d'ambiance que de contexte, ici aux États-Unis en 1876 pour une sorte de Germinal irlando-américain, autour d'un groupe de mineurs irlandais mené par Sean Connery (l'Écossais qui jouait un Irlandais, donc). Une entrée en matière sans une ligne de dialogue pendant 15 minutes, dont 10 minutes passées aux côtés d'ouvriers au fond de la mine jusqu'à leur sortie, leur lent éloignement, et leur dispersion dans le silence avant une brutale explosion de la mine. Ils ne s'occupaient pas que du boisage, visiblement, avec leurs mains et leurs visages maculés de houille.
Cette mise en bouche en rappelle une autre plus contemporaine, celle de There Will Be Blood, Paul Thomas Anderson s'étant clairement inspiré du travail de Martin Ritt pour son excellente introduction, conduisant 40 ans plus tard à une nouvelle vision alternative du mythe fondateur des États-Unis. Le genre de récit lent, qui prend son temps pour conter toute la rugosité de l'histoire, un peu dans la veine de La Porte du Paradis — qui partage plusieurs points communs avec Traître sur commande, à commencer par l'exploitation de propriétaires terriens à l'encontre d'émigrés (pour le contenu) et l'échec commercial lors de sa sortie (pour le contexte), même si Martin Ritt perdit sans aucun doute beaucoup moins de plumes que Michael Cimino dans l'opération.
Cent ans après la Déclaration d'indépendance des États-Unis, c'est le capitalisme industriel qui règne sur ce coin un peu particulier du territoire, la Pennsylvanie, où opèrent des irlandais émigrés réunis en une société secrète sous l'appellation des Molly Maguires — qui donne son nom au titre original. Leur activité principale : saboter les mines de charbon et malmener les tenants de l'ordre établi en représailles à des menaces d'interdiction du syndicalisme. Un contexte d'exploitation de main d'œuvre et d'inégalités sociales, encore une fois. Mais de manière très adroite, The Molly Maguires ne se focalise pas directement sur le point de vue de ces saboteurs : il choisit plutôt le parcours d'un détective (lui-même exploité par la police) en charge d'infiltrer le mouvement pour le démanteler et faire pendre ses principaux acteurs. Le récit fait ici est en réalité une version édulcorée de la réalité, chargée en pantomimes de procès et en exécutions à visée intimidante.
C'est ici qu'il faut reconnaître le talent de Richard Harris dans son rôle hautement ambigu d'infiltré, à la fois charmeur, bon vivant, fondamentalement immoral et toujours à la lisière de l'adhésion à la révolte sociale. Dans sa propension à épouser les causes défendues par ceux qu'il surveille, dans sa spontanéité à crier "un pour tous, tous pour un", à tabasser un gardien ou à foutre le feu à un magasin de luxe pour se montrer persuasif dans sa mission, il cultive une zone de flou très intéressante. Le film peut ainsi se lire comme l'affrontement entre deux conceptions opposées de la révolte : d'un côté (Connery) ceux qui lutteront jusqu'au bout d'un combat perdu d'avance, et de l'autre (Harris) ceux qui souhaiteront s'extirper de leur condition quelles que soient les compromissions, les tentations et les déshonneurs.
Dans cette description d'un rapport de force complexe, chacun essayant de tirer l'autre vers un piège qui le dévoilerait publiquement avec plus ou moins de scrupules au fil du temps, Traître sur commande est particulièrement réussi. C'est en outre une immersion soignée, quoique très sobre et sans effusion, dans le quotidien de ces mineurs qui fera ressortir chez le personnage de Harris, contre toute attente, un dégoût pour l'ordre auquel il obéit.
http://je-mattarde.com/index.php?post/Traitre-sur-commande-de-Martin-Ritt-1970
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le 12 nov. 2020
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