Irritation game
Shyamalan a tellement séduit public et critique dans son début de carrière qu’il subsiste encore aujourd’hui ce petit aiguillon qui pousse à lui laisser à chaque fois sa chance, au gré d’une...
le 17 août 2024
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Cela se confirme: revenu en confiance depuis quelques films, M. Night Shyamalan est bien parti pour désormais ajouter une nouvelle réalisation à sa filmographie chaque année. Et 2024 aura même marqué une double cuvée si on y rajoute son cercle familial le plus intime, avec (le décevant) "Les Guetteurs" mis en scène par sa fille Ishana. Mais, évidemment, le gros morceau était attendu de la part du père lui-même via ce "Trap" au pitch aussi ubuesque qu'alléchant en promesses de twists improbables : une opération de police organisée sous couverture d'un concert de popstar pour mettre la main sur un tueur en série s'y étant rendu avec sa fille !
On connaît -et on en est très client de- la capacité du cinéaste à nous appâter par ses toujours très intrigants récits dont il a le secret mais il faut bien dire que "Trap" fait très fort sur ce plan avec un postulat un brin casse-gueule mais qui, on le sait, entre ses mains, peut s'avérer redoutable. Surtout qu'il y ramène sur le devant de la scène Josh Hartnett, perdu de vue depuis plusieurs années (hormis un second rôle dans "Oppenheimer"), dans le rôle de ce "Boucher" père de famille et bien décidé à nous rappeler à quel point il peut être bon comédien.
Et il l'est ! Tout comme la première moitié de "Trap" (le concert stricto sensu) où l'acteur va se fondre à la perfection dans la peau de ce prédateur devenant une proie et prenant vite goût à jouer au chat et à la souris avec ses poursuivants. Certes, notre suspension d'incrédulité va être sollicitée à maintes reprises (à commencer par l'irrationalité de l'opération menée en elle-même) mais le piège plutôt bien rôdé de "Trap" referme peu à peu sa mâchoire implacable à la fois sur nous, spectateurs, et son "Boucher".
D'abord, en nous plongeant dans les yeux de ce père accompagné de sa fille en train de découvrir l'ambiance bon enfant de ce concert et de son public de fans adolescents pour mieux, ensuite, laisser place à celui du tueur soupçonneux, puis plus que fébrile, devant la découverte de l'ampleur du dispositif destiné à sa seule capture. Peu à peu, et c'est la grande force de cette première partie du film, les rouages de son cerveau sociopathe semblent prendre vie à l'écran avec la combinaison idoine de la caméra de Shyamalan et du jeu de Josh Hartnett, mettant en valeur chacune de ses réflexions sur ses possibilités de fuite et les manipulations/stratagèmes pervers qui en découlent. Toute la dichotomie entre sa nature meurtrière profonde prise en chasse et la façade de l'image de père dévoué renvoyée à autrui marche à plein dans une montée en tension efficace, surtout lorsque le personnage joue avec le feu en allant titiller les forces armées et les bonnes âmes dans cette partie d'échecs en perpétuel mouvement face à une chef profileuse (et adversaire à sa hauteur) qui paraît avoir tout compris de lui.
Et puis il y a le rebondissement invraisemblable de trop.
Celui qui fait sauter toutes les barrières des suspensions d'incrédulité dont on parlait plus haut par son énormité.
À partir du moment où le film connaît un tournant majeur permettant au "Boucher" d'envisager une vraie porte de sortie à ce piège (pour rester vague), "Trap" va s'effondrer comme un château de cartes soufflé par un vent scénaristique contraire où plus rien (ou quasiment) ne va fonctionner.
La déception qui en ressort ne va cesser de croître, Shyamalan poussant constamment son film dans une direction dans laquelle il n'y a plus rien sauver, où l'on en vient (sans doute pour sauver les meubles) à utiliser des artifices aussi dépassés que le sifflement strident d'une bouilloire afin de symboliser la tension d'un ultime face-à-face, où Josh Hartnett se débat comme il peut pour maintenir à flot son personnage au milieu d'évènements aussi grotesques que peu inspirés (rajoutons la pauvre Alison Pill qui subit le même sort en cours de route), où l'amour du père pour sa fille devient la transposition de celui de Shyamalan vis-à-vis de la sienne, Saleka (actrice et chanteuse interprétant la star du concert, Lady Raven) à qui il offre un premier rôle d'envergure sous la forme d'un cadeau au final vraiment empoisonné (le film tourne au fiasco en même que temps que sa mise en avant), où tout simplement "Trap" devient interminable tant il est devenu impossible de croire au moindre élément qu'il a à offrir dans un récit en perdition continuelle.
Malgré tout l'amour que l'on peut avoir pour Shyamalan, il sera bien dur de défendre ce "Trap" si ce n'est sur sa première partie et la prestation de Josh Hartnett. Pour le reste, le sentiment de déception a été tel que l'on en voudrait presque à Shyamalan, comme s'il avait brisé de lui-même le pacte de confiance établi avec le spectateur depuis son grand retour avec "The Visit" pour ne plus lui faire connaître les pires errances de sa filmographie. Bon, bien sûr, "Trap" n'en est heureusement pas le pire exemple -rien ne pourra battre "After Earth" ou "Le Dernier Maître de l'Air"- mais le fait est que c'est cette fois sur une œuvre bien plus "shyamalanesque" dans l'esprit qu'il rate le coche. Et c'est peut-être pour ça que l'on en sort sur un goût encore plus amer après la séance...
Créée
le 9 août 2024
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