Irritation game
Shyamalan a tellement séduit public et critique dans son début de carrière qu’il subsiste encore aujourd’hui ce petit aiguillon qui pousse à lui laisser à chaque fois sa chance, au gré d’une...
le 17 août 2024
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Multiplex de province, dernière séance du dimanche soir, troisième semaine d'exploitation... Et pourtant la salle était blindée de chez blindée.
À chaque fois j'avoue que ça me sèche comment M. Night Shyamalan parvient à rassembler les foules, malgré son passif.
Alors certes, je comprends qu'on puisse rester fidèle aux quelques bons souvenirs qu'a su produire le bonhomme dans les cœurs de certains d'entre nous, que ce soit avec des films comme Sixième sens, The Visit ou Split. Mais difficile d'un autre côté d'oublier ces purges d'une sidérante stupidité qu'ont été des films tels que Signes, le Village ou bien encore Phénomènes.
La tentation pourrait alors être très forte de ne pas risquer 12 balles dans une séance ciné estivale consacrée à un énième épisode de roulette russe shyamalesque... Mais malgré tout les gens y vont. J'y suis allé moi-même...
...et ça me fascine.
Ça me fascine pour plein de raisons.
Je suis fasciné de constater qu'on soit encore si nombreux à laisser sa chance au réalisateur philadelphien.
Fasciné aussi de voir à quel point il suscite encore aujourd'hui des réactions aussi épidermiques là où d'autres seraient tombés dans l'indifférence générale.
Et puis surtout, je suis fasciné enfin de me rendre compte à quel point – malgré la profonde débilité de ce film – j'en ressors malgré tout satisfait de l'avoir vu.
Pourtant, dès les premières minutes, on sait.
On voit bien qu'on n'aura pas affaire à ce que l'auteur peut faire de mieux.
L'intro est peu inspirée, très littérale et fort verbeuse dans sa manière de poser ses enjeux. Le tout est en plus grandement desservi par une terrible impression de fausseté, qu'elle soit alimentée par cette photo hideuse de Sayombhu Mukdeeprom ou bien par le lifting et le jeu d'acteur particulièrement horribles de Josh Hartnett.
Seulement voilà, en contrepartie, je devais malgré tout bien reconnaître qu'à défaut d'être subtile, cette entrée en matière avait le mérite d'une certaine efficacité. D'une part ça nous plonge tout de suite dans cette arène qui fera office d'unité de lieu et d'action durant tout le film. Et puis d'autre part, cette arène étant un concert de pop idol – soit le temple ultime de la fausseté et de l'aliénation des êtres par les plus grossiers artifices – cela produit une certaine cohérence d'atmosphère.
Pour moi qui ne connaissais rien de l'intrigue de ce film, j'ai trouvé que le début de ce Trap était un bon hameçonnage. C'est vrai que cette présence policière massive est un brin intrigante, surtout que toutes les conditions sont réunies pour se jouer de la vigilance des masses. Bref, je m'interrogeais déjà sur la nature du piège ; à la fois celui tendu aux héros mais aussi celui qui nous était tendu à nous, spectateurs.
Après tout, pour qui connait le goût de Shyamalan à produire des intrigues à rebondissements, révélations et autres twists, la curiosité pouvait sincèrement être permise...
Mais bon, voilà... Comme s'il convenait rapidement de nous rappeler, tel un enfer dantesque, que tout espoir devait être abandonné dès l'entrée, ce Trap n'attend pas longtemps avant de nous doucher. C'en serait presque martelé comme une note d'intention tellement le film enchaîne à ce niveau-là ; une note d'intention qui hurlerait ceci : rien dans ce film ne sera vraisemblable.
Il y a déjà cette nature même du piège. Elle se révèle assez rapidement à nous et elle s'avère immédiatement n'avoir aucun sens.
Non mais ! D'où que le FBI organiserait un gigantesque concert, exposant 30 000 personnes, pour coincer un tueur en série ? En termes de débauche de moyens, de risques et de chance de réussite, c'est déjà totalement con, non ?
S'ajoute à ça le fait que peu de gens réagissent logiquement dans ce film.
Le vendeur qui déballe toute l'intrigue au premier gars sympa qu'il croise ; qui accepte de l'emmener à la réserve ; qu'il lui donne le mot de passe...
Et puis cette scène où le mec se balade en plein briefing de la police comme si de rien n'était. N'importe qui d'un temps soit peu normal le trouverait méga louche ce type.
Et c'est quoi ce briefing d'ailleurs ? D'où qu'une brigade de police décide qu'il est opportun de lancer un petit moment émotion en pleine opération ?
D'où que ça ne surprend aucun autre spectateur présent dans la salle de concert le fait qu'il y ait jusqu'à des voiturettes d'agents du FBI se baladant dans les entraves de cette salle ?!
Tout ce film ne repose que sur ça : faire accepter l'invraisemblable... Ou pour être plus exact : faire accepter les facilités d'écriture.
Parce que sitôt notre héros est-il en difficulté que la solution lui pope soudainement dans les mains, avec un hasard absolument déconcertant.
Il faut que la trappe d'où sorte la guest star soit juste à côté de lui ; que l'oncle de la chanteuse soit juste derrière ; qu'une jeune fille étourdie débarque pile au bon moment pour que le héros puisse faire le secouriste.
On se croirait dans le Truman Show tant les choses s'orchestrent d'une manière étrangement arrangeante pour le héros, à la différence notoire que, dans Trap, aucun démiurge mystérieux n'est prévu par le scénario. C'était comme si Shyamalan apparaissait régulièrement dans le champ pour déposer les accessoires face aux acteurs et que, nous, spectateurs, on devait accepter de faire l'effort de ne pas le voir pour maintenir notre crédulité suspendue.
(Le pire, c'est que, comme dans tous ses films, Shyamalan apparaît effectivement dans le champ. L'effet factice assumé s'en retrouverait presque réaffirmé.)
Et donc oui, je l'avoue, ce serait sur cet aspect-là que le film me fascinerait presque, au point que j'y prenne un étrange et perturbant plaisir.
Parce qu'en effet, quand bien même ce film est-il d'une sidérante stupidité de bout en bout, il m'interpelle de par son imperturbable assurance. Comme si Shyamalan avait acté dans son esprit qu'il vivait dans une réalité parallèle où tout ce qu'il racontait était plausible et que son héros pouvait apparaître aux yeux des spectateurs comme un authentique génie du simple fait d'être entouré de gens extrêmement stupides, il semble dès lors ne plus se poser aucune limite en termes d'ambition.
Et vas-y que je t'enchaîne les retournements de situation à la pelle ; les révélations troublantes sur le passif des personnages ; les contrepieds, twists, marelles sur un bras, etc. C'est un FESTIVAL.
On nage en plein univers parallèle ; un univers où tout ceci serait plausible, aurait un sens et constituerait un réel mille-feuilles narratif dont on pourrait tirer une vision subtile du monde et de l'humain.
À un moment donné, je me suis demandé si Shyamalan allait connecter son Trap à son « Incassable Cinematic Universe » tant tous les coups semblaient permis ; tant le gars paraissait en totale roue libre...
...Et si ça avait été le cas, je pense que ça ne m'aurait pas dérangé. Ça aurait même rajouté de la magie à ce film.
Parce que oui, moi je trouve qu'il y aurait presque quelque chose de magique là-dedans. Le cinéma de Shyamalan est presque devenu une réalité parallèle dans laquelle son auteur se complaît ; une réalité parallèle dans laquelle sa fille est une grande star de la chanson ; une réalité parallèle où le monde entier est gentil et où les méchants ne sont pas vraiment méchants (oui, bon, des méchants qui ont débités des gars en tranches, c'est vrai, mais c'est le genre de détails qu'on oublie très facilement dans la réalité alternative de Shyamalan).
Et puis surtout, je ne peux m'empêcher de voir la réalité de Shyamalan comme une sorte de catharsis personnelle ; une réalité dans laquelle il suffirait que les gens soient un peu plus cons et les choses un peu plus faciles à écrire pour qu'il devienne un pur génie du cinéma pouvant laisser libre court à son art sans trop se poser de question.
On pourrait y voir un pur ego trip de mec ayant un vrai problème avec son hubris et pas à tort, je pense. Ce n'est pas un hasard si le type exacerbe encore aujourd'hui autant les critiques acerbes à son encontre. C'est vrai que c'est rageant de se dire qu'un mec capable de produire des films aussi stupides puisse encore rencontrer un public, fermant ainsi peut-être la porte à d'autres auteurs plus talentueux.
Seulement voilà, à côté de ça, j'avoue ne pas être insensible à cette étrange aura qui habite ce film.
Il y a derrière cette sidérante stupidité une étonnante générosité ; presque une créativité louable. Et j'avoue que ça m'interpelle de constater à quel point ce film réussit l'intrigant exploit de se montrer sans cesse plus riche et fascinant à la mesure qu'il devient de plus en plus ridicule et absurde.
Trap a quelque chose qui tiendrait presque du légendaire loupé.
Il avait tous les éléments en main pour être un très bon huis clos, posant judicieusement tous les ingrédients d'une magnifique fable sur l'aliénation, le conditionnement, l'acceptation et la valorisation de comportements qui devraient pourtant éveiller notre méfiance... Mais non, dans un acte qui relèverait presque du courage tant il est suicidaire, Shyamalan a préféré partir dans son trip, sa réalité, ses standards...
Comme tout un symbole, à la toute fin, suite à un énième retournement totalement téléphoné, le héros finit par éclater de rire. Il ne peut plus refréner une hilarité presque compulsive. C'est d'ailleurs sur cette image que le film décide de se conclure. Une absurdité. Une de plus. Un rire nerveux qui résonnerait presque comme celui d'un auteur conscient de son acte.
Pour ma part, j'avoue avoir moi aussi pas mal ri devant ce film. Des rires nerveux, vous vous en doutez bien. Et pourtant – ultime surprise donc – je lui en serais presque reconnaissant.
Parce qu'au fond, des films fades, sans courage et sans audace, j'ai l'impression de ne voir que ça ces derniers temps. Du coup, je crois que j'en suis arrivé à un point où aujourd'hui, quitte à devoir m'enquiller un mauvais métrage, je préfère encore m'en enquiller un qui le fait avec panache, aussi pathétique ce panache soit-il.
Cette époque est décidément fascinante, ma parole.
Triste et bête, certes. Mais fascinante, à n'en pas douter...
Créée
le 26 août 2024
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