Je suis très agréablement surpris par cette réalisatrice chinoise ! Elle a d’abord suivi une carrière dans la production de films d’auteurs, en particulier ceux de Diao Yi’nan, soucieuse de proposer un cinéma d’art et d’essai qui fût exigeant et honnête, malgré le risque omniprésent de la censure en Chine. Elle en a du coup profité pour engranger une expérience assez conséquente dans les divers domaines qui touchent à la création de films (photographie, montage, etc.). Son dernier petit chef-d’œuvre en date, Angels Wear White, est à mon sens exemplaire de ce savoir-faire pluridisciplinaire : Vivian Qu sait comment bien faire un film, et du coup elle en fait d’excellents ; c’est aussi simple que ça.
Ce n’est qu’assez récemment qu’elle est passée derrière la caméra. Elle a sorti en 2013 ce Trap Street, qui est son premier film. Et ce qu’on peut dire, c’est que c’est du pur cinéma, en cela qu’il n’y a que de la vue, et de la vision, dans ce film. Le début m’a d'ailleurs fait penser à l’ignoble Terrorizers de cette truffe d’Edward Yang : c’est un peu la même idée qui est reprise, à savoir simuler le regard du personnage principal pour en faire par ricochet le regard du spectateur ; sauf que là c’est infiniment mieux fait, parce que sans chichi, sans mouvements de caméra tape-à-l’œil et sans scénario alambiqué juste pour faire genre « regarde comment je sais faire des films complexes et sérieux, moi ».
Toute la réflexion sur le regard, porté aussi bien par le personnage sur son environnement que par la société sur lui, va se produire avec beaucoup de naturel. Dans une certaine dramatisation, dont la tension ira croissante, mais sachant toujours demeurer extrêmement crédible. Le rythme est parfaitement géré, les ellipses remarquables de clarté, le récit d’une simplicité trompeuse… Tout se met progressivement en place pour aboutir à un suspense qui n’explosera pas à proprement parler. La conclusion du film est en cela à son image : antithétique de tout un genre auquel il fait subtilement référence (le film noir), et en même temps profondément personnelle, radicale, puissante. Un grand film d’auteur chinois !