[Publiée le 13 Septembre 2023 sur Un Certain Cinéma]
Lorsque l’homme à la perruque blonde « presents » tel un studio hollywoodien à lui seul, il y a matière à ne savoir choisir entre la timide curiosité et l’indifférence malhonnête. En manque d’honnêteté, effectivement, car le nom de Warhol est connu, reconnu mais aussi associé à des œuvres, des travaux sur la matière aux dimensions sexuelles, politiques, religieuses, psychologiques, biographiques, et autres qualificatifs qui font du new yorkais un artiste complet par-delà la diversité des domaines qui l’ont intéressés. Lorsque Andy Warhol « presents » il y a de quoi savoir ne pas savoir à quoi avoir affaire, même en voulant voir, par cette timide curiosité.
Warhol est aussi un nom, pour les plus avertis des revendiqués cinéphiles, qui est associé à l’Art de capter le temps, aussi appelé cinématographe, pour ses expérimentations aux allures underground de l’époque, pas n’importe laquelle, les années 60, et pas n’importe où, à New York. Le temps, un sujet qui a d’ailleurs fasciné le génie faussement blondinet, en témoigne le sulfureusement célèbre Empire, un plan séquence de huit heures environ sur le monument américain du même nom.
Mais ici, Andy Warhol n’est pas le cinéaste, il est simplement l’homme qui « presents…Joe Dallesandro in Trash […] by Paul Morrissey ». Un certain Morrissey déjà présent aux côtés de Warhol par exemple en 1966 en tant que coréalisateur du chef d’œuvre underground Chelsea Girls. Un Morrissey également présent en 1968 pour Flesh, le premier film de sa trilogie que Warhol « presents ».
Si le film est évidemment un objet repoussant pour bien quelques regards soi-disant purs, il est surtout le portrait d’une certaine jeunesse, d’une certaine génération, d’une face cachée d’un astre monumental : les années 60 à New-York.
Mais si la forme varie entre refus d’optempérer aux idées conventionnelles et plans, tout autant dans la non-conformité, avec une dimension, tout au moins supposée, dans la recherche esthétique, ou dans la conscience d’un regard de cinéphiles qui traine ou trainera par ici et par là, le fond quant à lui se résume par le jeu sur une seule et même corde : le trash, le noir dans l’absolu.
Après une ouverture, dont la musique pourrait par ailleurs accompagner un épisode de Mickey Mouse, où l’imposant Joe Dallesandro reçoit, dos à nous, une fellation qui semble durer éternellement, Paul Morrissey s’impose avant-tout et surtout, presque dans un état d’opposition à Warhol, comme l’homme de la technique du milieu underground : caméra en mouvement, découpage des corps, zooms et autres effets qui contrastent avec les longs plans fixes de Warhol. Quand bien même ce dernier se trompait de pellicule pour Blue Movie changeant considérablement l’image obtenue, Paul Morrissey offre une œuvre avec Trash ayant le mérite d’une certaine beauté des images, qui dénotent logiquement avec le fond et l’histoire racontée.
La qualité d’ensemble principale de cette œuvre se situe dans son commentaire, son effet miroir de cette certaine génération, dans la capacité de Morrissey d’exprimer un sentiment, un ressenti, d’impliquer le spectateur dans le corps d’un jeune new-yorkais marginal, tout en offrant un rendu particulièrement intéressant quant à la violence, tant physique que psychologique, concernant cette jeunesse. La vacuité des mots se mélange avec le poids des responsabilités qui rongent ces femmes et hommes de l’autre côté de la frontière, comme une ligne directrice de la trilogie de Paul Morrissey : Flesh/Trash/Heat.
Dans ce trop plein du lourd, le réalisateur n’hésite jamais à laisser durer juste assez les plans sur personnage x ou personnage y, le sortant d’un contexte d’époque par un geste presque ironique qui font un temps soit peu oublié la lourdeur des dialogues par leurs aspects moralisateurs, comme un jeu installé entre son film et lui-même, mais également entre le spectateur et le film.
La violence envers les personnages et le spectateur fonctionne malgré elle en dialectique, de par le rapport du film avec les corps, nus, qui se retrouvent sublimer par leur ancrage dans ce milieu de la marge, mais terriblement impuissant et dévasté par les pénétrations incessantes de l’ordre du sexe et les injections inconscientes de l’ordre de la drogue.
Paradis artificiels. Si de l’artificialité, Morrissey touche juste sur son sujet, du paradis, il transforme les humains en habitants d’un enfer terrestre dont leur impertinence n’aura de poids pour changer quelque chose, comme si après tout, ne nous sortions jamais de l’enfer, nous le remplaçons par un autre, mais à notre manière.