Tourné à Tolède en 1970 par le réalisateur espagnol Luis Buñuel, "Tristana" est un film amer sur les désillusions de la vie : celles de la jeunesse, incarnée par Tristana (Catherine Deneuve), une pupille arrachée à son innocence ; celles de la vieillesse, sous les traits de son tuteur, Don Lope (Fernando Rey), un aristocrate lubrique, libertaire et anti-clérical.
Dans "Tristana", Buñuel s'amuse à jouer avec les destins contrariés de ses personnages. Aussi, il les montre avec crudité, filmant leurs impuissances, leurs doutes et leurs espoirs déchus. Ici, tout est assez mortifère : le fils sourd-muet de la bonne de Don Lope qui, selon le patron qui l'a embauché, n'est "bon à rien" et passe son temps à se masturber, l'agressivité progressive de Tristana à l'égard de Don Lope jusqu'au dénouement, la jouissance malsaine de la jeune femme à exhiber son corps atrophié par la maladie, mais surtout, la relation incestueuse assumée de Don Lope avec Tristana, et ce, depuis le début du film.
Catherine Deneuve, belle et diaphane, irradie encore sous la caméra de Buñuel, trois ans après "Belle de Jour". Dans ce rôle de jeune fille qui se mue en mégère, elle réussit à atténuer la morbidité du propos. En effet, le magnétisme de l'actrice transperce tellement l'écran qu'il en éclipse par moments l'intrigue elle-même.
Pourtant, hormis la superbe de Deneuve, une sechéresse absolue imprègne ce film : sobriété des plans, absence totale de musique, gravité des dialogues, paysages dépouillés.
Le réalisateur espagnol semble avoir choisi une épure quasi clinique pour mieux décrire la rancœur, l'acidité et la haine présentes chez tous ses protagonistes. Car ni Tristana ni Don Lope ni sa bonne ne sont sympathiques. Ceux-ci se contentent d'être eux-mêmes, peu désireux de plaire, ce que Buñuel semble d'ailleurs sous-tendre implicitement.
Film fascinant, mystérieux et dérangeant, "Tristana " nous interroge sur la façon dont nous abordons certains événements de notre vie, ainsi que sur notre rapport intime au temps. Il nous met également face à nos contradictions, souvent jusqu'au malaise.