Trois Amies
6.7
Trois Amies

Film de Emmanuel Mouret (2024)

Je fais partie de ces personnes qui ont été très, très touchées par "Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait" (2020), au point de l'avoir vu deux ou trois fois et de l'avoir défendu face à ceux qui l'ont critiqué (pour des raisons évidentes).


Pour "Trois amies", c'est différent.

Cette fois, il était plus difficile pour moi de passer outre les travers d'Emmanuel Mouret pour plusieurs raisons.


Pour la voix off, d'abord, ce procédé qui place d'office le film dans un univers (souvent ringard aujourd'hui, il faut l'avouer) ; pour l'écriture qui assourdissante par endroits, avec des négations à tout-va, des "cependant", des "cela", des "ainsi que" et j'en passe alors que toute l'intrigue se passe dans un milieu plutôt populaire ; pour le jeu un peu coincé des acteurs qui, bien qu'ils s'en sortent assez bien malgré les contraintes imposées, ne peuvent déployer tout leur naturel qui serait pourtant le bienvenu ici et puis pour la musique aussi. Trop de musique classique guillerette à chaque scène finit par tuer le kitsch dans l'œuf.


Ca fait beaucoup de points négatifs, déjà.

Ouais, je sais.


Le problème avec Emmanuel Mouret, c'est que même ses personnages les plus populaires de gauche donnent le sentiment de sortir d'un meeting de droite.


La légende dit d'ailleurs que si on plisse bien les yeux, on peut apercevoir sur chacun des personnages un pull à manches courtes au-dessus d'une chemise rayée, avec un autre pull écru posé délicatement sur leurs épaules alors qu'ils sont tranquillement installés sur un yacht flambant neuf, pieds nus après avoir pris soin de faire ranger leurs mocassins à gros glands en cuir de yack sauvage dans un meuble en bambou centenaire.

Mais c'est la légende qui le dit, hein, c'est pas moi.


C'est très dommage d'avoir toujours cette impression quand on se retrouve devant des castings pourtant aussi impeccables (sur tous les plans) que ceux d'Emmanuel Mouret.

D'autant que pour revenir à cette surécriture qui tient plus du théâtre que du cinéma, il y a un vrai déséquilibre.

Si le début est très écrit et nous sort donc du scénario et des dialogues, très vite, les négations sont balayées et les personnages se mettent à parler normalement pour ensuite revenir au statut initial sans qu'on comprenne trop pourquoi avant de retomber une énième fois dans un naturel qui n'a plus vraiment rien de tel puisqu'on ne sait déjà plus sur quel pied danser depuis bientôt deux heures.


C'est comme si le film avait été tourné deux fois.

Une fois en conditions de théâtre avec un texte à respecter à la virgule près, et la deuxième fois, en laissant les acteurs faire ce qu'ils savent faire pour ensuite mélanger les deux extrêmes.

Laissez-moi vous dire, mon bon seigneur, que je ne souffre que très peu ce procédé qui est le vôtre.

Ouais, vraiment, ça marche pas de ouf, le projet, là.


Pourtant, si on fait abstraction de certaines lignes de dialogue qui en deviennent malheureusement très cringe (et il y en a !), le film a de bonnes idées, de bonnes intrigues, même un certain humour noir qui saura faire sourire ou rire, comme ça a été le cas pour 3 ou 4 personnes dans ma salle de cinéma.


"Trois amies" surprend aussi. Il faut le dire.

Je n'ai pas vu venir certains twists, moi qui pensais naïvement que certains arcs allaient se refermer.


Le film ne vise pas la facilité pour autant.

Il prend des détours, nous fait patienter, nous trompe, se joue de nous et nous offre rarement ce qu'on espère mais sans en faire trop, sans essayer d'apporter l'exact opposé du postulat de base pour le simple plaisir de le faire.

Ces points positifs sont la raison pour laquelle le film m'a davantage déçu que déplu car malgré toutes les bonnes choses qu'il a à délivrer (et il y en a !), beaucoup ne feront pas la démarche d'aller le voir ou seront, comme moi, très en distance par rapport à ces trajectoires de vie à cause du côté "je me regarde écrire" et du côté prétentieux dans la forme pourtant voulue plus accessible que dans ses films précédants, où on avait l'impression que tous ses personnages populaires vivaient dans de grands lofts ou de gigantesques maisons de campagne en se plaignant de gagner le smic.


Je caricature, bien évidemment.


Le film aura un effet repoussoir pour ceux qui se diront "c'est pas pour moi, ça" après avoir vu la bande annonce, un peu comme ces jeunes qui se disent qu'aller au musée, c'est pas pour eux parce qu'il faut appartenir à une classe sociale particulière alors que pas du tout.


Le film paraîtra sans doute trop intello, trop bobo, trop superficiel aussi, mais "Trois amies" a pourtant de solides arguments, je persiste.

Emmanuel Mouret prouve son ouverture d'esprit, sa modernité, fait preuve de cynisme et prend un malin plaisir (qu'on partage volontiers) à torturer certains de ses doux/naïfs personnages.


Pour ma part, je demande pas grand-chose, j'attends juste impatiemment un Mouret où on lâche les chevaux, où on met de côté les artistes maudits torturés pour peu de choses pour embrasser à pleine bouche des destinées de héros du vrai quotidien qui agissent comme tels.

Youss2Couette
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le 10 nov. 2024

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