A Saïgon et dans la région, les trajectoires de quelques personnages se croisent dans un pays, le Vietnam, qui voudrait oublier le traumatisme de la guerre. Ce traumatisme reste présent dans certains détails, comme le nom d’un bar (Apocalypse Now) qui fait également boîte de nuit, ou bien la présence d’un américain (Harvey Keitel), capable de rester des heures assis sur une chaise devant un lieu qu’il fréquentait régulièrement du temps où il était GI. Ce même américain ayant arpenté les rues de la ville à la recherche de personnes qui hantent ses nuits, on ne saura jamais exactement ce qu’il veut, même si l’occasion lui est donnée d’observer une jeune femme aux manières enjôleuses vis-à-vis d’un homme pour qui elle ne doit pas éprouver grand-chose. L’américain tente alors de convaincre la jeune femme de ne pas suivre les traces de sa mère.
On sait très bien ce qu’elle peut devenir, car un des personnages centraux du film est la charmante Lan (Zoë Bui), qui choisit de se prostituer auprès des riches clients des hôtels de luxe. Lan a beau avoir des projets plus ambitieux, on sent que ce qu’elle perd (psychologiquement) ne compense pas l’argent qu’elle gagne. En effet, la plupart la méprisent, notamment ses clients. Aussi surprenant soit-il, il se trouve un homme pour la considérer avec un vrai respect : Hai (Don Duong), qui gagne maigrement sa vie comme cyclo-pousse. Il fait chaud mais la région est très humide. Beaucoup de ses collègues dorment à la belle étoile, simplement assis dans leur véhicule, parce qu’ils n’ont pas les moyens de s’offrir un toit. Hai a l’occasion de prendre en charge Lan un jour qu’elle échappe de justesse à des clients mécontents. Mais Lan n’est pas du tout reconnaissante et elle n’apprécie pas vraiment de retrouver Hai le lendemain, l’attendant devant un hôtel parce qu’il savait qu’elle devait y travailler.
Signé Thimothy Linh Bui, le scénario s’intéresse également à Kien an (Nguyen Ngoc Hiep) une jeune femme engagée non loin de Saïgon pour la culture et la vente de lotus blancs. Ces fleurs poussent sur un lac au milieu duquel le propriétaire, maître Dao (Tran Manh Cuong) habite dans une maison dont il n’est pas sorti depuis bien longtemps, ce qui n’empêchera pas Kien an de faire sa connaissance à la suite d’une initiative qui surprend les autres employées.
Enfin, n’oublions pas le jeune Woody, garçon haut comme trois pommes qui vend à la sauvette cigarettes, briquets et autres petits objets qu’il présente dans une sorte de petite valise qu’il porte en bandoulière sur son ventre.
Un film qui prend son temps, pour présenter de magnifiques images (voir l’affiche), les plus belles étant celles de la culture du lotus blanc. Le réalisateur trouve la manière pour rendre ses personnages attachants, y compris la belle Lan (qui ne porte probablement pas par hasard le même nom de famille que lui) qui, toute à ses projets, pourrait négliger la tendresse que Hai lui apporte par pure bonté d’âme. Le pays tel que le montre Tony Bui ne manque pas de charme, même si on sent que la pauvreté y côtoie un luxe assez honteux.
Si le film séduit par son esthétisme et son atmosphère générale, il reste malgré tout un peu anecdotique parce que son réalisateur n’ose pas aller au bout de ce que devrait être son propos. D’abord, il ne situe jamais son action de façon précise, que ce soit géographiquement ou temporellement, laissant le spectateur deviner grâce à quelques jalons. Ensuite, il choisit de suivre les trajectoires de quelques personnages qui l’inspirent, nouant en quelque sorte trois intrigues, mais qu’il peine à relier. Peut-être faut-il y chercher les trois saisons du titre, mais cela reste également incertain. Aucune ambiguïté par contre en ce qui concerne la musique du film, ce n’est pas du Vivaldi (sonorités franchement asiatiques). Le film joue sur l’opposition entre tradition et modernité. L’esthétisme pourrait faire pencher la balance vers le passéisme, mais le réalisateur montre que l’évolution est inéluctable. Je pense en particulier à l’épisode qui voit une équipe vendre des fleurs artificielles. On sent que rien n’est réglementé et que la culture et la vente du lotus blanc comme le pratiquent Kien an et ses collègues est irrémédiablement condamnée. On se demande même où peut bien se situer la rentabilité quand on voit le nombre de personnes employées. Quant au mal dont souffre maître Dao, on aimerait savoir s’il est représentatif ou non.
Bref, Tony Bui montre beaucoup de choses intéressantes et dresse quelques portraits attachants dans un film très réussi sur un plan esthétique, mais semble se contenter d’un film séduisant en négligeant d’approfondir les aspects qui pourraient le placer dans la catégorie des œuvres marquantes.