Difficile de trouver dénominateur commun dans ce corps à corps destructeur de deux âmes complémentaires qui se renvoient leur amour au coup par coup. Où il est question d’une distance qui décuple la passion autant qu’elle produit le noir à broyer par l’âme à laquelle l’autre manque. Complicité des sens, intellectuelle et tactile, il n’y que l'incertitude d’un destin joueur qui peut mettre en déroute l’évidence d’un futur commun. Le temps entre alors dans l’équation, entraînant les rouages de souvenirs qui se voilent au moment où les rappels physiques, déliés à l’encre d’une plume d’époque, seuls remparts fiables contre l’oubli, jouent le rôle de deux électrodes fortement chargées en courants contraires. Aux oubliettes la maturité que l’homme pensait avoir mérité, le cœur meurtri de son adolescence est toujours à la même place.
Le corps a grandi, mais l’amour adolescent qu’il a perdu manque toujours à l’appel, trouble impérissable, pareil au tatouage né d’un choix impulsif dont l’encre puisée au sein d’une correspondance passionnée n’aura pu stagner à fleur de peau, préférant lancer l’assaut d’un cœur vulnérable qui ne demandait pas mieux. Pauvre organe naïf qui ne comprit pas assez vite que ce qui le faisait battre à tout rompre allait causer sa future déconfiture en le marquant de manière si profonde que jamais plus il ne parviendrait à recouvrir les deux initiales qui s’étaient gravées à sa surface.
Trois acteurs pour un seul homme, trois temps de présence et d’absence, qui témoignent de la vicieuse croissance de l’esprit. Amalric ouvre et clôt la girouette amoureuse qui aura occupé son soi adolescent —très touchant Quentin Dolmaire—, violent passage de relais qui invite à comprendre ce personnage qui se targue de ne jamais rien sentir mais dont le cœur troublé prouve tout le contraire. L’épilogue enfonce le clou, jusqu’à la tête, dans la rancœur tenace qui parcourt les veines de l’enfant, jeune adolescent, docteur estimé, lorsque ce dernier se retrouve attablé devant une nostalgie funeste qui lui rappelle le manque qu’il n’a pu combler par son travail et ses nombreux voyages.
Trois souvenirs de ma jeunesse, œuvre vaporeuse et impalpable, parlera ou non — quitte ou double, très certainement— aux pauvres bougres qui oseront braver sa déferlante émotionnelle. Celle mise en oeuvre par une baston de regard en pleine cour d’école, qui se termine dans les souvenirs idéalisés d’un jeune homme mûr dont le cœur est resté prisonnier de la faille temporelle qui s’est ouverte à l’instant même où il s’est enlisé, de lui-même, dans une spirale amoureuse trop sauvage pour lui.