Trois sublimes canailles est un rêve raconté, un rêve incarné ; non pas le rêve américain, mais le rêve d'Amérique de tous ces immigrants venus d'Europe pour converger vers le grand Ouest, là ou les terres confisquées aux sioux seront distribuées aux premiers arrivants lors des fameuses courses à la terre.
L'ouverture, somptueuse déclinaison de cette thématique sur fond de ballade un rien mélancolique jouée à la guitare, est en plan fixe, représentant un chariot tiré par six chevaux dans un paysage crépusculaire. Puis viennent les cartons explicatifs, la proclamation du président Ulysse Grant, fixant les termes de ces chasses, le plan d'un navire d'immigrants abordant la côte est, dont les villes sont devenues rapidement débordantes d'une population trop nombreuse.
En deux minutes, nous oublions notre statut pourtant privilégié de spectateur, nous sommes au cœur de ces années 1870, au cœur du mythe. Le cinéma de John Ford n'est pas un cinéma historique, c'est l'histoire.
A vouloir entremêler toutes ces thématiques (les vagues d'immigrants venus d'Europe, la ruée vers l'ouest, la confiscation des terres indiennes), il était à craindre que Trois sublimes canailles ne plonge dangereusement dans un trop plein, une sorte de profusion d'intentions, mais il n'en est rien.
Certes que ce film est "bavard", du moins en son début, les cartons s'enchainent à grande vitesse, et l'on assiste même lors de la présentation des nombreux personnages à une ébauche de comédie musicale... muette ! Oh John, have you gone crazy ?
La présentation des personnages se succède au même rythme effréné, les trois brigands qui deviendront magnifiques, Dan O'Malley, l'irlandais chanteur et la belle, Lee Carleton, accompagnée dans le convoi de son papa.
Nous sommes donc dans le Dakota en1876, et ces cinq là convoient au milieu de milliers d'autres pour arriver dans les temps et faire "la course à la terre". Le ton est léger, on effleure même le western comique pour un temps. Mais, gravité fordienne oblige, la dramaturgie commence à se nouer et place les personnages et les sentiments humains au cœur du récit et au cœur de cette Histoire, qui est avant tout une destinée commune construite par des hommes et des femmes souvent peu communs.
Là Ford excelle à provoquer l'empathie pour les personnages en apparence les plus obscurs, au besoin en inversant les rôles (le shériff a bien moins de valeur humaine que les trois canailles), à créer des personnages remarquables, attachants, mais toujours au cœur de la légende. A ce titre, Three Bad men nous offre une scène tout à fait impressionnante, celle justement de la course à la terre, où une centaine de chariots et un millier de figurants chevauchent furieusement dans un déchaînement de poussière, de roues brisées de charrues renversées, d'enfants jetés à terre...
Bref , nous sommes noyés dans l'immensité du grand ouest américain, chevauchant avec ces êtres modestes et exceptionnels, bercés par ces quelques notes de guitare, merveilleuse mélodie des grands films et de l'émotion.