Il est écrivain célèbre, américain exilé à Londres, s’appelle Philip, comme Philip Roth dont il partage tout, presque tout, peut-être pas le physique, encore que, en plissant des yeux, Denis Podalydès pourrait avoir quelque chose de Roth, la coiffure certainement avec la calvitie au-dessus. À Londres donc, Philip reçoit beaucoup sa jeune maîtresse dans son bureau où il écrit, prend des notes, songe. Un bureau qui ressemble à une alcôve, à un vieux boudoir, où l’on s’ébat et jouit autant que l’on se livre. Sur la vie, le sexe, les sentiments et le désir, la littérature et la judéité, sur les autres (les femmes surtout) et sur soi. L’étreinte se marie au Verbe, la peau aux confidences, constamment, comme un mantra. Une nécessité. Une tromperie aussi à la solitude, aux maris et aux épouses bien sûr, et aux soubresauts du monde derrière les fenêtres nues.


Arnaud Desplechin s’est emparé du roman de Roth (Tromperie, paru en 1990) comme il s’est emparé de l’homme lui-même, et jusqu’à sa (mauvaise) réputation d’homme à femmes et d’indécrottable misogyne. Le portrait est surtout celui d’un homme absorbé par son processus de création (d’abord un écouteur, assène-t-il), entrelacs de souvenirs, d’exil, d’obsessions ancrées, de femmes aimées et d’invention sans cesse. D’ailleurs il est possible d’envisager ça, cette hypothèse suivante : existe-t-elle vraiment, cette amante anglaise qui n’a pas de prénom ? N’est-elle pas seulement une pure figure de fiction, une pure émanation de l’esprit rothien, lui qui s’en persuade si bien face à son épouse (ou alors quelle mauvaise foi !) le confrontant, un soir, à son adultère ?


Mais ça n’est pas le plus important, et c’est d’abord dans l’incessant échange rhétorique (ou plus trivial) entre l’écrivain et sa maîtresse (sa muse ?), et ces autres désirées, que Desplechin donne à voir l’inspiration au travail, qui se couche (sur le papier). Pourtant, et il fallait bien que ça arrive on dirait, ça coince quelque part. Les dialogues sont magnifiques, littéraires magnifiquement, en fait ; l’amour des mots, et ceux de Roth, il transpire. Et les acteurs étincellent, le duo Léa Seydoux et Podalydès évidemment, à l’écran quasi en permanence et dans toutes les positions, du canapé contre les murs au tapis par terre.


La mise en scène est vive, Desplechin paraît s’amuser, tenter des trucs, vouloir surprendre, lui qui a "toujours entretenu un rapport conflictuel avec le cinéma réaliste", a-t-il dit. Alors pourquoi on s’ennuie (mais poliment) ? On sent que ça pèche, mais par quoi, par trop de quoi ? Ça achoppe, mais sur quoi ? C’est peut-être une question d’incarnation, tout simplement : les mots ont beau être beaux, du petit lait, ou pain béni (comme toujours chez Desplechin, et dans Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) ou Trois souvenirs de ma jeunesse principalement), et Seydoux majestueuse, cheveux courts, voix velours ou plus piquante, dans un de ses plus beaux rôles, Desplechin s’en tient à ce que l’on voit et entend à l’écran sans en arracher autre chose qu’une beauté, évidente certes ; sans en percer la surface, aller derrière.


Cette incarnation donc, qu’on pensait venir, restera lettre morte : Desplechin conceptualise plus qu’il ne donne chair, met une distance. Les corps, s’ils se touchent bien, s’ils se montrent et se dévoilent, s’expriment bien sûr, n’ont curieusement l’air d’être là que pour magnifier le texte rothien et pas autre chose, même si quelques galipettes, éventuellement, peuvent contredire l’argument. Desplechin les filme, osera-t-on, comme des "concepts" (l’écrivain génial et un rien tourmenté, des femmes interchangeables, l’épouse bafouée, ivre de jalousie…), forcés d’abord de parler, tout le temps, presque sans respiration, digressant, récitant, déclamant tirades, mais oubliant qu’ils devaient, aussi, être.


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mymp
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le 5 janv. 2022

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