Film très atypique dans la production hollywoodienne de l'époque. Déjà on peut se demander qui est ce réalisateur anglais, qui semble avoir surtout fait des films de guerre et d'horreur (voire de la télé) et qui se retrouve à faire un tel film.
Comment appréhender un tel film ? Il semblerait pendant l'exposition que ce soit un film noir (Widmark qui se tape des verres au comptoir d'un bar, son ex qui chante en se baladant autour des clients). Un parallèle typique du film noir est mis en place pendant la première moitié du film (le film est très court mais efficace) : Monroe et Widmark sont seuls dans leur chambre, donnant vue l'une sur l'autre. Deux personnages seuls donc, qui vont être amené à se rencontrer, s'aimer, et à finir sur un baiser, un flingue pointé sur la poitrine du mec. Rapidement on se rend compte quand même que c'est un peu trop sage pour être un film noir ("sage" pas dans le péjoratif, plutôt dans le sens réaliste, comme si un jeune réal des années 60 avait réalisé un métrage sur deux voisins qui vont se rencontrer ou non, mais qui vaquent à leurs (pré)occupations dans ce même temps, tout en pensant au personnage mystérieux qui se trouve à l'autre bout de la rue).
De la vague impression de film noir, on s'étonne du changement de ton interprété par Monroe face à Widmark. Ca parle de passé, de fantômes, de douleurs, de secrets. Ca n'a pas la lourdeur d'un Tennesse Williams, c'est du Marilyn Monroe. Pour avoir lu ses Fragments (notes, poêmes, journaux intimes), je suis vraiment étonné que pour un de ses premiers grands rôles, elle joue aussi bien, dans plusieurs registres, et se livre autant (le texte ressemble à ses écrits, c'est assez affolant) par le biais du scénario — mention spéciale d'ailleurs à son baiser, qui est un peu plus érotique, ou du moins réaliste, que tous les baisers de cinéma hollywoodiens que j'ai pu voir.
Alors rapidement on croit tomber dans un début de romance, la rencontre passionnelle entre Widmark et Monroe, et le scénario nous surprend à nouveau.
Les personnages sont très bien écrits, dans le sens où ils nous étonnent, et on les comprend — on a envie de comprendre Marilyn, et on comprend vite l'intégrité de Widmark. Et surtout, ils vont à l'encontre de ce qu'on attendrait d'eux dans un film de cette époque.
Je n'ai jamais vue Marilyn filmée aussi bien filmée (ce qui n'est pas étonnant puisqu'elle ne joue pas la femme fatale)
Car oui, il est étonnant que ce huis clos réalisé par un inconnu fasse se rencontrer Richard Widmark et Marilyn Monroe, mais les scènes contemplatives, les détails, les moments cruciaux, sont filmés avec une justesse, une beauté, une dureté, qui ne laisse pas insensible.