Paradise Now : tentative d'exégèse d'Avatar, cinquième pavé

Plan général :
http://www.senscritique.com/liste/Paradise_Now_tentative_d_exegese_d_Avatar/1136959



Niveau - 3 : L’Homme est né Sapiens, rien ne l’oblige à le rester



- 3.1. 2154 : Conquest of Cyberparadise


Il se trouve que, dans sont rapport à la technologie, le cinéma de James Cameron recoupe dans toute son ambigüité le mythe de Prométhée (le prévoyant). L’ambigüité qui fait que, selon le point de vue adopté, le don du secret du feu aux Hommes par le Titan est à la fois une bénédiction, parce qu’elle apporte la « connaissance » au même titre que la pomme d’Adam et Eve, et une malédiction en ce qu’elle a pour conséquence l’envoi de Pandore, le présent des dieux conçu dans les forges d’Héphaïstos (ou de Skynet…) et sa fameuse boîte apportant à l’humanité tous les Maux de la Terre ; soit l’équivalent de l’épisode biblique de la Chute du paradis ayant pour conséquence la séparation du divin, éternel, et de l’humain, devenu mortel. Car Prométhée est aussi (comme Abraham dans les religions du Livre) celui qui institue le sacrifice rituel que répétaient les cérémonies des Anciens pour, justement, signifier et rappeler cette séparation (dudit sacrifice, les dieux recevaient les fumées et parfums, et les hommes les chairs périssables).


Or c’est bien ici l’une des fonctions narrative d’Eywa : séparer les « divins » Na’vis des humains trop humains. Et plus précisément : couper le fil de la vie à ceux qui, selon le point de vue du cinéaste, ferait mauvais usage de la technologie tout en accordant à ceux qui utiliseraient celle-ci d’une façon « souhaitable, progressiste, le droit de « rejoindre l’Olympe ». Jim "the almighty" permettant ainsi à ceux-là, en faisant rétropédaler le mythe, d’effacer la peine de mort qui leur était jusque là attachée comme un boulet. De quoi, au passage, invalider la thèse selon laquelle James Cameron serait empêtré dans une contradiction consistant à user d’un cinéma hyper-technologique pour produire un discours technophobe voire réactionnaire vis-à-vis du progrès scientifique (« […] la technologie en soi est moralement neutre. C’est son application par les humains qui est positive ou négative », propos de James Cameron recueillis par Michael Henry, Positif n°444, 1998).
Mais alors, où, cette fois, placer la ligne de démarcation, celle qui séparerait les bons des mauvais usagés de la technologie ? A priori, à l’intérieur du seul groupe des humains, le schéma « cowboys contre Indiens » se voyant pour l’occasion doublé d’un second conflit tout aussi manichéen mais cette fois interne aux « cowboys » et duquel dépendrait au final l’avenir de tous, Hommes et Na’vis, ou plutôt Hommes ou Na’vis.


Le film opère ainsi la scission entre, d’un côté, les scientifiques qui usent de la technologie pour s’adapter à leur nouvel environnement et de l’autre, les représentants du complexe militaro-industriel qui adaptent plutôt celui-ci à leurs besoins exclusifs. Les premiers transfèrent leur esprit dans des corps artificiels leur permettant de sortir de leurs laboratoires, de respirer l’air de Pandora et de nouer des liens avec ses autochtones. Les autres, à l’image de Quaritch, se recroquevillent à l’intérieur de carapaces blindées (type armure de conquistadors hight tech), hypertrophient leur corps au devenir « terminator » (cf. l’hyper-iconique scène où le colonel s’extirpe du vaisseau en flamme) et retiennent leur respiration le temps nécessaire à leur entreprise de pillage de l’ « exo-Eldorado ». Et comme leur vue est courte, ils recourent à des « prothèses » en tous genres : écrans de contrôle, radars, multiples engins, etc. Le fait est que, dans cet environnement wilder than life, ce même Quaritch, privé de son AMP, serait presque aussi vulnérable que Jake sans son fauteuil roulant. Car en fait, l’humain augmenté est ici le cache misère et en même temps le catalyseur d’une régression de l’Homme à l’état d’œil qui ne voit plus rien (la zone du vortex) et de cerveau qui bégaye son passé impérialiste.


Mais en est-il vraiment autrement pour le camp adverse ? Pas forcément, car d’une part, scientifiques et militaires participent d’un même système où les premiers, totalement dépendants des seconds, leur servent même de caution progressiste (de la même façon que l’évangélisation ou la diffusion des Lumières ont pu légitimer le colonialisme). Et d’autre part, dans les deux cas, le problème essentiel reste le corps.


- 3.2. Le guerrier qui a su unir les anciennes et les nouvelles voies


Trop faible, brisé par la guerre (Jake) ou dépendant d’une substance quelconque (Grace), il retient l’esprit prisonnier à l’intérieur d’une enveloppe étriquée ayant atteint ses limites. De là, si l’humain veut faire un nouveau pas de géant, il doit voir plus loin, vers l’infini de la pure entité spirituelle et au-delà de l’organique qui l’encage. Une solution ? Le programme avatar peut-être ? Par le biais de celui-ci, certains heureux élus se voient en effet donnés la possibilité d’abandonner ce corps obsolète et, comme dans les films de Mamoru Oshii avec lequel James Cameron est parfois (et à juste titre) comparé, de transférer leur esprit, leur âme, leur ghost, dans un nouveau corps, une nouvelle interface, une nouvelle shell. De quoi faire de la technologie avatar un équivalent dans sa fonction narrative du monolithe de 2001 : l’odyssée de l’espace : sorte de boosteur évolutionniste et transhumaniste. Sauf qu’on ne se débarrasse pas si facilement des chaînes de la mortalité…


A l’issu de son premier transfert, véritable seconde naissance en vue subjective, Jake se voit proposé des « tests sensori-moteur ». Et telle la créature de Frankenstein à peine foudroyée, il les effectue sans demander son reste, maladroitement d’abord, mais bientôt avec agilité. Ainsi, Jake revit, recoure et retrouve ce « sensori-moteur » qui lui faisait défaut. Mais comme le rappellent de réguliers « inserts » sur son véritable corps « endormis » - on peut parler d’ inserts puisque le corps est ici en voie de réification -, Jake est en réalité toujours dans son « caisson-sarcophage », donc toujours relié à la mort. L’illusion de la vie est parfaite, pour les yeux du personnage comme pour ceux du spectateur, hypnotisé par le photoréalisme des images et la prouesse de la performance capture (ou pas, c'est selon). Mais c’est une simulation. Ultime, certes, c’est même le fantasme de tout gamer, mais une simulation tout de même. Dans les faits, l’avatar de Jake n’est à ce stade qu’un autre genre de « prothèse », même si beaucoup plus élégante et perfectionnée. Ce n’est encore qu’un pantin animé par un bodysnatcher via un pont neuronal faisant office de fil de marionnettiste et assimilable à une contrefaçon du lien naturel qui relie les Na’vis à leur environnement.


Pour réellement donner vie à ce « Pinocchio », il faudra donc un coup de baguette magique d’Eywa, ou plutôt un coup de ciseaux venant couper ce cordon ombilical de la mort après avoir définitivement transféré l’âme du personnage dans son nouveau corps (et au vu de certains propos de James Cameron décrivant la façon dont il se projette en pensée dans les robots sous-marins qu’il utilise lors de ses plongées, l’on peut sans peine imaginer que cette fusion du pilote avec son avatar est un vrai fantasme de technophile se rêvant cyborg).Aussi nécessaire à l’évolution de l’Homme que l’est le monolithe de 2001, la technologie avatar n’est donc, pas d’avantage que ce dernier, suffisante à elle seule. C’est un signal d’entrée qui ouvre une voie, porte des étoiles ou chemin de la renaissance, mais c’est au héros, empruntant à chacun et dressant un pont entre tous, qu’il appartient de « l’arpenter » (chap 1, verset 303, L’Évangile selon Saint Morpheus).


C’est ainsi que Jake, le remplaçant de son scientifique de frère, le marine « formé aux renseignements », l’imposteur ayant rencard « avec la fille du chef », se retrouve au carrefour des besoins des scientifiques (renouer avec les indigènes), des militaires (les infiltrer) et des Na’vis (mieux connaître leur ennemi). De la sorte, il se voit donné l’opportunité de faire la synthèse entre les antithèses, du moins jusqu’à ce que le « Bifröst » ne s’effondre et que le « Ragnarök » ne s’annonce. Alors, ne pouvant plus tenir une position à la croisée des chemins, Jake se voit contraint de choisir un camp et de « trahir sa race » d’origine au profit de sa communauté d’adoption. Faisant cela, il ne devient pas pour autant un simple Na’vi, puisque de toute façon c’est un être hybride. Non, il devient unique, de la même façon que Kal-el + Clark Kent = Superman (autre héros « solaire »). Et comme ce dernier n’est ni un oiseau, ni un avion, mais bien Superman, Jake n’est plus ni un humain, ni un Na’vi, mais le sur-homme qui prend le parti de ceux qu’il a appris à aimer contre son ancienne famille. Et le colonel Quaritch, tel le général Zod, de devenir son frère-père ennemi. Alors que Grace, fusionnant avec la matrice cosmique de Pandora comme Obi-Wan Kenobi le fait avec la Force, devient une entité supérieure : celle qui, débarrassée des attaches terrestres, vient en aide au héros - l’intervention finale miraculeuse d’Eywa ne serait-elle pas de son fait ? -, mais désormais depuis une autre dimension, invisible mais omnisciente et omniprésente.


En l’occurrence, cette autre dimension est ici le fameux « réseau d’énergie » parcourant la planète à la façon du world wide web. Et il n’est en effet pas interdit d’y voir comme une manière de technologie : sorte de syncrétisme entre le Grand Tout déjà mainte fois évoqué et l’Internet. Après tout, et pour en revenir au lien entre James Cameron et Mamoru Oshii, le destin de Grace semble être le même que celui du major Kusanagi à la fin du premier Ghost in the shell. Et l’univers de Pandora, au même titre que l’océan du cyberespace tel qu’il est envisagé dans la suite (Ghost in the shell 2 : Innocence), forme bien un système cybernétique où les barrières érigées entre organique et technologique, spirituel et informatique, naturel et artificiel, se voient remises en causes par une post-humanité en passe de devenir, à l’instar du fœtus-astral de 2001, pure énergie.


C’est donc là, au croisement du mythe « solaire » (celui du ré-enfantement du héros au cœur de la déesse-mère) et de l’anticipation (sur les perspectives ouvertes par la révolution informatique), et dans la fusion des Frontières (Ouest, espace, cyberespace) et altérités (Indien, extraterrestre, créature artificielle), que James Cameron viendrait promouvoir l’idée d’une science enfin réconciliable avec la spiritualité. En d’autres termes, ce serait le personnage de Grace transcendée, ayant atteint la « moksha » (délivrance) de la philosophie indienne (Upanishad), qui incarnerait dans le film le niveau de technologie et en même temps de spiritualité le plus élevé : celui correspondant sur le plan mythique à la fusion avec la « Grande Mère », la matrice cosmique (6). Et Jake en serait l’interlocuteur privilégié, tel un Prométhée dé-chainé, un Moïse redescendu du Mont Sinaï, ou comme un « cyber-christ » (7) renvoyé de l’au-delà pour maintenir le lien entre l’humain et le divin.


Notes, références et sources :


(6) On peut d’ailleurs envisager que les réapparitions du personnage de Sigourney Weaver dans les suites de la saga puissent passer par le même genre de « manifestations » et « réincarnations » que celles de Kusanagi dans Ghost in the shell 2 : Innocence.
(7) Le concept de « cyber-christ » est, selon les dire de David Fakrikian, une idée que James Cameron aurait souhaité abordé dans un éventuel « Terminator 3 » s’il avait un jour eu le projet de le faire lui-même.


La suite :
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Toshiro
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le 28 déc. 2015

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