Je suis aujourd'hui un père très sélectif face à ce que mes enfants peuvent ou ne peuvent pas regarder.
Pourtant, parfois, je repense à ces journées au centre commercial quand j'avais entre 10 et 15 ans. Je regardais ma mère avec les yeux de l'enfant le plus malheureux du monde (le chat de Shrek me doit tout) et demandais :
- Je peux rester dans le vidéo club pour choisir une cassette pendant que vous faites les courses ?
Lèvres tirées vers le bas, tressaillements de cils, une mécanique bien huilée, mais avec le recul inutile puisque la réponse était toujours : "Oui".
C'était mon film de la semaine dénué de tout contrôle parental. Une période bénie qui m'avait permis de voir ce "True Romance" évidemment, mais aussi d'autres œuvres affiliées à la culture "pop-corn à domicile" telles que Une nuit en enfer ou Arnaques, crimes et botaniques.
Je prenais mon temps, j'avais une heure pour parcourir les étalages, passant d'un rayon à l'autre, jonglant entre les types de films, m'arrêtant sur les télés qui diffusaient sans cesse les bandes annonces des nouveautés pétaradantes. Je zieutais de temps en temps le rayon interdit, masqué derrière son rideau noir et lorsqu'il s'ouvrait pour avaler ou régurgiter ses rares aficionados, je captais une jaquette, un titre...
Puis je revenais à ce choix difficile. Un film à choisir parmi tous. La sélection s'avérait ardue. Je lisais l'arrière des pochettes et leurs commentaires commerciaux dithyrambiques dénués d'une quelconque référence à un magazine du 7ème art pour appuyer le propos.



Une action omniprésente. Le meilleur film de l'année.
Une histoire à vous couper le souffle. De l'action et de l'humour pour un cocktail explosif.



Bref, chaque film semblait être le meilleur du monde, LE film à voir qui allait bouleverser tout ce que je connaissais jusqu'à maintenant et mettre ma culture cinégraphique naissante en jachère.
True Romance a fait partie de ceux là. L'accroche par contre n'avait rien de mensongère.



Un concentré de violence, un scénario explosif, réalisé par Tony Scott (Top Gun, Le dernier Samaritain...)



Et cette fois ci, des magazines de qualité montaient au créneau.



A la fois original, rythmé, brillant, coloré, féroce et souvent hilarant - Télé 7 jours
Une romance qui décoiffe - Vidéo 7



Une seule scène m'avait véritablement marquée à l'époque, un face à face magnifique entre deux monstres que j'ignorais être Christopher Walken et Dennis Hopper. Un interrogatoire qui tenait dans cette simple cigarette, ce détail que j'avais alors immédiatement intercepté et qui ne laissait aucun doute sur la conclusion de cette rencontre. Dennis Hopper était véritablement fantastique.


Alors, je m'y replonge, pour le faire partager à ma femme qui ignorait que Tarantino avait écrit une histoire d'amour, à sa façon.
Le thème d'Hans Zimmer qui ponctue mes matins depuis plusieurs années démarre sur cette déjà triste ville de Détroit. Le berceau de l'automobile embrumé dans ses fumées surplombant une ville terne dont les rues sont maculées d'une neige grise. Un groupe d'hommes vainement rassemblés autour d'un brasier de fortune, la carcasse d'une voiture. Un contraste immédiat entre ces quelques notes de musique qui amènent à nos oreilles la chaleur d'une plage et la douceur du sable fin sous nos pieds quand nos yeux, eux, ne doivent se contenter que de la pauvreté ambiante. Une ambiguïté qui n'a rien d'hasardeuse. Mais nous y reviendrons.


Immédiatement, la rencontre entre Clarence et Alabama fait mouche. Quentin Tarantino, cet illustre inconnu de l'époque, en profite pour déclarer sa flamme au cinéma qu'il aime, à travers les situations de ce rendez-vous d'une évidence forcée et d'un romantisme sans faille.
Tout va très vite. L'amour est écrit dans le regard qu'elle lui porte lorsqu'il lui relate ce comics. Leur soirée fut d'une banalité inversement proportionnelle à l'aura que dégage les deux acteurs. Et ma femme d'y aller de ce commentaire qui résume tout le talent de chacun :



C'est drôle, c'est tellement romantique et pourtant elle (Patricia Arquette) est d'une vulgarité.



Tout est dit.
Jusque dans les vêtements colorés et outranciers de cette femme pulpeuse et pétillante, True Romance garde sa plastique intacte car il ne colle à aucun cliché de son année de réalisation. Le film enchaîne ses scénettes dans des environnements clos ou ouverts (mais cloisonnés) qui ne s'encombrent d'aucune accroche temporelle : un strip-bar, un appartement, une caravane au bord d'une voie ferrée, un motel, un grand-huit, une Porsche, un appartement...
Et dans ces lieux s'agitent une belle brochette d'acteurs qui s'approprient leurs personnages jusque dans le plus petit rôle. Une question d'ailleurs, mais qui était le directrice de casting ? Vu les noms au générique, c'est à se demander si il s'agit de flair ou de hasard.
Bien sûr, comme énoncé précédemment, je place Christopher Walken et Dennis Hopper largement en tête des personnages les plus charismatiques de ce film bubblegum à la violence édulcorée. Ils représentent le talent d'écriture de Tarantino pour réussir à les étoffer et les rendre inoubliables en quelques minutes. N'y cherchez pas de profondeur non, juste une façade reluisante qu'incarne des acteurs très justement dirigés. Et ma femme de se fendre d'un nouveau commentaire qui incarne toute l'ironie et la puissance de cette scène :



Tout ça alors que c'était sur le frigo !



Les intentions du réalisateur de Pulp Fiction sont naissantes, identifiables, à l'état larvaire, à parfaire mais déjà terriblement débridées. Son amour du 7ème art est véhiculé dans tous les petits détails qui accompagnent et étoffent les héros de cette romance sauvage. C'est la nuit de noce d'un réalisateur avec le cinéma, cette facette assumée et à son apogée dans "Pulp fiction". S'accaparer la fiction populaire somme toute basique, peut importe le genre, pour la sublimer à travers des personnages maniérés, facilement identifiables grâce à leur personnalité lestée de références en tout genre. Quoi de mieux pour Tony Scott après "Le dernier samaritain" ?
L'une des dernières scènes, pourtant loin d'être la plus maîtrisée fut mon premier gunfight ! La convergence de tous ces portes-flingues en un seul lieu pour clôturer cette traque dans un ballet de plomb et de plumes ne m'a jamais quitté.
Et lorsque la conclusion, pourtant clichée au possible arrive, que le thème entonne son dernier mouvement, on repense à la grisaille de Détroit, aux prémices de cette relation lancée à 100 à l'heure et on se dit qu'il n'y a pas de hasard. Les détails fourmillent jusqu'au final. La satisfaction d'avoir vu son amour d'un cinéma édulcoré à la violence graphique dénuée de gravité l'emporte sur tous les commentaires négatifs de déception parfois justifiés.


Sans le savoir, j'allais grandir à partir de ce point. J'aimais déjà Quentin Tarantino, Roger Avary et Tony Scott mais je ne m'en doutais pas. Et pour cela, je remercie mes parents et l'instant d'une critique, je regrette l'atmosphère des vidéoclubs des années 90.

RicowRay
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le 20 oct. 2017

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RicowRay

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