"Tu imagines Robinson" se vit et se ressent plus facilement qu'il ne se critique, car il préfigure les méditations guidées d'aujourd'hui.
Fable, allégorie et critique du conte philosophique de Robinson Crusoé, le film nous montre l'introspection de David, dont on comprend tout en sous-entendus qu'il doit être un citadin meurtri par les guerres qui se déroulent aux quatre coins du monde - l'offensive du Têt au Vietnam ? la guérilla urbaine de Mai 68 ? - et qui vient chercher en lui-même, dans sa vie intérieure, les ressources nécessaires pour retrouver un rapport aux autres solide et sain, pour essayer de préserver son Soi des attaques provenant de l'extérieur.
Le film puise toute sa force et toutes ses limites dans sa voix-off, récit éminemment durassien rappelant inévitablement "Hiroshima mon amour". Un texte âpre mais qu'il faut laisser résonner en soi - d'où ma référence aux méditations guidées où le degré d'immersion dépend de son propre ressenti - mais qui aide aussi le film à garder une hauteur de vue appréciable et même à dépasser le mythe de Robinson, et à dépasser le besoin impérieux du repli sur soi qu'on éprouve lors d'une blessure, d'une dépression.
Si l'allégorie de Robinson Crusoé fonctionne si bien ici, c'est qu'à rebours des spiritualités ésotériques, Jean-Daniel Pollet montre bien que le Soi est avant tout un endroit désertique et isolé que seules les sensations extérieures et les autres (Maria ?) viennent remplir, et que la réponse ne se trouve pas dans un soi qui serait un Dieu masqué par l'impureté du monde matériel.
Même si le passage par l'épisode dépressif et régressif est salutaire, c'est en recréant un lien, des sensations avec les autres, ces autres îles de l'archipel qui nous entoure, qu'on guérit.