Tu Ne Tueras Point, ou le vrai film de super-héros

Dans une introduction qui vient adroitement susciter la compassion et même la tendresse pour le personnage principal, l’on aurait pu penser que cette longue mise en place du contexte social et sentimental de notre héros puisse aseptiser la puissance scénaristique de l’histoire et la fougue parfois excessive (et légendaire) de Mel Gibson. Elle est au contraire nécessaire à l’empathie qui très rapidement s’installe chez le spectateur, le préparant alors à un phénoménal spectacle qui gouverne toute la deuxième partie du film.
Adaptée de l’histoire du soldat Desmond Doss, Tu Ne Tueras Point est une oeuvre qui dénonce l’horreur de la guerre et qui regorge de valeurs humaines.


D’abord l’amour de la famille, du frère que l’on a failli perdre dans un geste ingrat d’une enfance peu cadrée, d’une mère tendre que l’on protège envers et contre tout, et même de ce père qu’il confesse avoir tué dans son coeur, lequel prouve cependant sa bienveillance initiale et ses sentiments paternels, malgré ses déboires teintés de violences et d’alcool, et surtout d’âme brisée ; brisée par cette guerre qui détruit et abrège des vies, en rongeant de l’intérieur celles-là mêmes qui en reviennent sauves.

Puis vient presque comme un cliché l’amour pour une femme indépendante, qui ne dit pas “oui” pour la protection masculine et financière, mais qui cerne son essence propre, l’aimant pour sa richesse humaine et ses principes, pour cette femme qui ne cesse de croire en lui et en eux, même dans les moments où leur relation est mise à mal ;
Puis l’entrave à la double idylle, et pourtant tout aussi forte : l’amour de son pays, pour qui l’on prend tous les risques avant même d’entrer sur le front, bravant la hiérarchie et l’intimidation, sans jamais céder à la brutalité générale que la majorité du monde excuse, car les convenances d’un temps de guerre voudraient qu’un homme n’en soit vraiment un qu’en prenant l’arme à son bras, déterminé à s’en servir, paradoxalement au nom de l’amour pour sa patrie que notre héros ne cesse de prôner sous un autre medium.


Car c’est bien la religion, et de manière plus globale la foi qui anime mais surtout cadre Desmond Doss, qui du gamin violent singeant les gestes d’un père brisé devient un homme sensiblement bon et ambitieux, dont la sagesse et l’entêtement ne flanchent jamais. Le roseau plie mais ne se brise pas. Et bien que cette métaphore est tout à fait de mise, c’est le sobriquet d’Epi de Maïs que Desmond Doss se voit revêtir dès son entrée au camp ; il n’a ni le physique de l’emploi ni l’attitude appropriée - un soldat n’est rien sans son arme - et pourtant Doss prouvera le contraire. Car le film joue énormément sur les préjugés qu’il est compliqué de combattre sans sacrifices, mais dont on peut venir à bout pour rétablir la justice et prouver aux autres comme à soi-même que l’on peut accomplir des miracles. Très chère au protagoniste comme au réalisateur, cette notion de sacrifice est sans cesse rappelée de part et d’autres du film, où ici encore la foi vient motiver le courage et justifier ainsi l’offre de soi au profit de la cause.
Et quand Doss n’hésite pas à risquer sa vie pour accomplir sa tâche et aller au bout de son entreprise, c’est toujours dans une solidarité et une modestie mise à rude épreuve ; pourtant le soldat fut formel, et refusa toujours les adaptations cinématographiques de son vivant : il n’est pas un héros, ses actes ont été dictés et dirigés par Dieu lui-même ; les héros sont ceux morts au combat, au nom de leur patrie.
Plus timide et discrète que les autres, la valeur du pardon est cependant tout aussi présente que celles dépeintes précédemment. À quoi bon cultiver la rancoeur et la haine alors qu’elles ancrent déjà la vie sur le front, et sur la population ? Le pardon est un acte de bienveillance, très puissant au sein de la religion, et peut-être même le plus noble, car le plus difficile. Doss n’est pas seulement un héros de guerre, c’est un héros de vie, un modèle que tout supposait pourtant à ne jamais soupçonner. Il n’y a qu’à revoir rapidement son point de départ : Doss, gamin frêle et catholique, fils d’un père violent et coupable en son âme, refusant de porter une arme au risque d’en subir les conséquences, réussit à avoir “la fille” et la légion d’honneur en accomplissant ce qu’aucun autre homme armé n’avait eu la prétention d’avoir fait. L’habit ne fait pas le moine, nous susurre la morale.


Tout comme les sentiments, la douleur et la brutalité sont également exposées sans filtre. Toute la première moitié du film se recentre sur le personnage, son identité et ses émotions ; en réponse la mise en scène est délicate, patiente et chaleureuse, les plans sont doux et empreints d’une lenteur confortable. Le calme avant la tempête. La réalité de la guerre écarte toute échappatoire ; une heure quarante de bombes, de grenades et de tirs sanglants, des personnages qui succombent en dix minutes de front, qui perdent leurs membres et hurlent de douleur ; la sueur, le sang, la terre, la fumée, les larmes…
L’on retrouve ainsi les excès typiques de Mel Gibson mais qui sont ici artistiquement très justes, contre-balançant avec la mollesse du début. Fort heureusement nombre d’entres nous n’ont jamais connu le front, difficile donc de parler d’excès en terme de faits ; cependant le spectacle est dur, prenant, et fait retenir son souffle. Il s’agit d’un film de valeurs, mais il s’agit aussi d’un film de la guerre. Et la guerre, et bien, n’a jamais été une grande.


En conclusion, Hacksaw Ridge de son titre initial prône ainsi dans chacun de ses actes la pluralité des émotions et des valeurs humaines, plus que jamais mises à mal en temps de guerre, où il est coutume de devoir risquer sa vie et parfois même, au grand damn de notre héros : d’ôter la vie d’autrui. Sous couvert d’une religion catholique servant à Doss de guide unique et fondamental, Mel Gibson nous offre au sein de son film le portrait d’un époustouflant et peu commun héros de guerre, qui d’abord … devient le messie nécessaire aux hommes en mal d’espoir. Il est par ses sacrifices et sa bravoure, l’incarnation d’une foi enfin (re)trouvée par des hommes ayant perdu tout espoir. En troquant son arme contre une Bible, ici symbole d’amour et de sagesse, Doss sauve non seulement son honneur en respectant ses principes et son identité, mais également sa patrie pour laquelle il ne doute jamais de risquer sa vie pour en sauver une autre. Une autre, juste une autre.


PS : Seul point négatif, et pas des moindres… Aucun noir sur le front, sérieusement…?

laurianeipsum
9
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le 6 oct. 2016

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Lauriane Ipsum

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