Krzysztof Kieslowski offrait en 1988, année de la dernière exécution en Pologne (même s'il faudra attendre 1997 pour un texte de loi abolitionniste), un surprenant réquisitoire contre la peine de mort.
Surprenant car "Tu ne tueras point" ne déroule pas le tapis rouge pour son point de vue. Toute la première partie se consacre à la description d'un environnement, une banlieue de Varsovie à la morosité affichée sur chaque mur, chaque visage, ou presque. La description d'une atmosphère étrange, pesante, tout en non-dits et en coups de pinceau indirects, une introduction dans laquelle la thématique de la peine de mort semble parfaitement exclue. En suivant les parcours parallèles d'un chauffeur de taxi, d'un jeune paumé et d'un futur avocat, Kieslowski tisse une toile où les trajectoires se croisent et où les personnages se débattent. Dans la peinture désespérément terne d'une société, au caractère allégorique affiché, dans la peinture du hasard et d'un certain déterminisme écrasant, le Haneke de la trilogie de la glaciation émotionnelle ne semble pas bien loin.
Surprenant aussi dans la frontalité de sa constatation, tant on nous contraint à regarder la mort droit dans les deux, à deux reprises. D'abord sous la forme d'un meurtre, commis par un étrange semi-inconnu, puis sous la forme d'une exécution, assurée par les services de l'état. L'image du chat mort, pendu, affichée ostensiblement dès les premières séquences du film, donnait d'entrée de jeu le ton. Noir. Et les multiples filtres obscurcissant l'objectif ou altérant les couleurs participent à la même opération de peinture du crépuscule.
Très peu de psychologie dans "Tu ne tueras point", et le peu qui est énoncé (donnant quelques éléments de contexte sans toutefois prétendre expliquer ou "comprendre" le meurtre) n'apparaît pas comme le moment le plus intense ni le plus avisé du film. Des moments qui sont d'ailleurs absents de l'épisode du Décalogue correspondant, beaucoup plus resserré. L'expression de la culpabilité et de la peur ne sera que très peu appuyée, elle sera même reléguée à la toute fin du film. Au moment de l'exécution de la sentence, ainsi que dans les instants qui la précèdent, les arguments du film se dévoilent soudainement : la banalité, l'absurdité, l'arbitraire, et la brutalité des deux mises à mort nous éclatent au visage. Le renversement de perspective imposé par un parallèle aussi froid et sec est effrayant.