Je prends le risque de commenter une œuvre visionnée il y a fort longtemps (et une seule fois, de surcroît).
À la réflexion, les films axés (ou tournant autour d') un sujet aussi grave que celui de la peine capitale ne sont pas nombreux.
Je ne les ai (évidemment) pas tous vus, mais parmi ceux que je connais et qui me semblent les plus... instructifs ---- Les Anges aux figures sales (M. Curtiz, 1938), The Barber (Coen&Coen, 2001), Un Condamné à mort s'est échappé (R. Bresson, 1956), Dancer in the Dark (L. von Trier, 2000), La Dernière marche (T. Robbins, 1995), Deux hommes dans la ville (J. Giovanni, 1973), Douze hommes en colère (S. Lumet, 1957), Jugé coupable (C. Eastwood, 1999), La Ligne verte (Frank Darabont, 1999), Maundy Thursday (HS Song, 2006), Monsieur Verdoux (C. Chaplin, 1947), Pendez-les haut et court (T. Post, 1968), Le Pull-over rouge (M. Drach, 1979), Sacco et Vanzetti (G. Montaldo, 1971), Les Sentiers de la gloire (S. Kubrick, 1957), Une Place au soleil (G. Stevens, 1951)... ---- le film de Kieślowski occupe le haut du panier...
Je reconnais, outre des lacunes certaines en terme de visionnage, qu'il est présomptueux de déclarer Tu ne tueras point champion toutes catégories : idéalement, il aurait fallu non seulement (re)voir les films, mais également prendre des notes, comparer méthodiquement...
Cela dit, comme suggéré plus haut, certains films cités ne font qu'effleurer le sujet, comme par exemple Les Anges aux figures sales, dans lequel l'exécution du gangster incarné par James Cagney est pour ainsi dire... contingente (mais digne d’intérêt pour ce qui est de cette thématique de la peine de mort).
Et puis... les réalisateurs n’étaient pas forcément abolitionnistes ; parfois ils aspiraient simplement à faire réfléchir.
Dans le cas de Tu ne tueras point, en revanche, le parti pris est clair et le résultat... sacrément efficace.
Pourquoi ?
Parce que Kieślowski s'attache à donner toute sa force à l'injonction (prétendument) divine – ne pas perdre de vue que ce film est un dérivé du film 5 de son Décalogue.
Noter aussi que le titre anglais A Short Film about Killing, qui est la traduction fidèle du titre original polonais, ne perd rien en force, reste fidèle au discours du metteur en scène : tuer, c'est tuer ; point.
Pour ce faire, le réalisateur polonais « se contente » de mettre en scène deux assassinats : celui d'un chauffeur de taxi (un sale type) par un jeune homme lui aussi antipathique, Jacek, puis l'assassinat de ce même Jacek... par l'État –– voilà les amoureux de la Veuve qui ruent dans les brancards ( curieusement, les catholiques en comptent une sacrée proportion dans leurs pieux rangs ).
Les contextes, d'ordinaire si importants pour tenter d'expliquer les motivations et les circonstances des meurtres, sont secondaires, voire ignorés par Kieślowski.
Au mieux comprend-on, avec ses images pisseuses et cafardeuses, que la vie peut être un poids pour les individus, un boulet qui les entraîne vers la mauvaise pente...
Kieślowski ne concède qu'à demi-mots que l'environnement joue un rôle (de quoi décevoir les maniaques de la « construction sociale », ... les soutiers de la déresponsabilisation individuelle).
De la même façon que l'on apprend presque incidemment que Jacek a pu voir son existence perturbée par le décès de sa sœur...
Car là n'est pas la question...
Ce qui compte, c'est de comprendre que la mise à mort ('sociétalement' honnie) du chauffeur de taxi et celle ('sociétalement' acceptée) de son bourreau sont de même nature : des drames, des non-sens, des erreurs...
Les erreurs, ce sont aussi possiblement celles du troisième personnage du film (et seul survivant), l'avocat, fraîchement nommé au Barreau. Doux, limite mou, il vient souligner l'absurdité de la machine judiciaire dans les systèmes non-abolitionnistes. Son inexpérience peut en effet avoir coûté la vie à Jacek. Défendu par une personne rompue au jeu de la plaidoirie, personne vigoureuse et charismatique, l'avenir du garçon sur cette délicieuse planète bleue aurait pu être tout autre .
( on pense alors au onze abrutis qui font face à Henry Fonda dans Douze hommes en colère... )
'Possiblement', écris-je plus haut, car Kieślowski, audacieusement mais très logiquement, s'est refusé à mettre en scène le procès de Jacek.
Une ellipse qui sert à merveille son propos : on n'a cure de ce qui s'est dit (ou pas) lors du jugement. Seules comptent les morts/exécutions dans un monde où la raison d’être de tout humain est... de vivre.
On aurait d'ailleurs tort d'accuser Kieślowski de s’être appesanti sur le trépas du chauffeur de taxi. La séquence, longue, n'est pas plus terrible que la pendaison de Jacek, froide, crue, spasmodique (ET du côté des bourreaux ET du côté du supplicié), presque irréelle...
Deux morts : deux aberrations.