J'ai pu voir que beaucoup dans les critiques parlaient de sa relation très très étroite avec le fameux Décalogue du même cinéaste. Etant donné que je ne l'ai pas vu, mon avis ne sera peut-être pas le plus pertinent mais il fallait quand même que je laisse ma trace aussi insignifiante soit-elle sur cette page.
Kieslowski c'est avant tout un démarrage calamiteux avec Le Hasard pour suivre avec un excellent film nommé L'Amateur. La logique a voulu que je poursuive mon exploration jusqu'à tomber sur "Tu ne tueras point" qui a fait sensation à Cannes. Outre cela, un titre pareil ne pouvait qu'attirer mon attention. Bref, pour rentrer dans le vif du sujet, "Tu ne tueras point" c'est avant tout un début chaotique : la pendaison d'un chat de manière purement gratuite. Car il est bien question de ça, c'est une histoire de violence gratuite que nous suivrons. A l'instar du chat, il n'y a ni but, ni réflexion dans l'infamie si ce n'est qu'elle est l'expression d'une inhumanité que l'on a en chacun de nous et que certains désirent exprimer au grand jour. L'intrigue prend place dans une ville froide, où les personnes entretiennent des rapports distants et où la dépression suinte par tous les pores de la pellicule.
Qu'on se le dise, "Tu ne tueras point" nous fout à la fois le cafard et nous bouscule en notre for intérieur. L'acte meurtrier est filmé chirurgicalement, lentement. La volonté est de pousser le réalisme un peu comme Gaspar Noé l'a fait avec son très controversé et sous-estimé Irréversible. Le jeune se comportant comme un pur amateur semble à la fois savoir et ne pas savoir ce qu'il fait. Son acte s'étire dans le temps et avec lui cette caméra filmant de près l'agonie de ce chauffeur de taxi qui a été choisi "juste ainsi" avant le coup fatal qui a illustré avec une sanglante beauté la pochette. Ne nous attardons pas davantage en longues facondes, "Tu ne tueras point" est un authentique cas d'école, une leçon de cinématographie autant dans ses codes que dans sa construction. Malgré sa courte durée, Kieslowski scinde son film en trois parties. La première filme le quotidien des différents protagonistes avant que l'inéluctable assassinat n'ait lieu. Ce qui nous permet ainsi de mieux les connaître essentiellement par leurs gestes.
La deuxième vous l'aurez compris est l'acte impardonnable pour laisser place à une stupéfiante partie qui apporte une once de lumière dans son histoire. Piotr, avocat idéaliste et un peu (beaucoup) naïf, tout juste sorti de ses études, va connaître la désillusion face à un système judiciaire impitoyable. Une réflexion est posée sur le sulfureux thème de la peine de mort que Kieslowski aborde, il est vrai, avec un manque de neutralité mais toutefois avec une sincérité touchante. Le jeune homme que l'on suivait en silence va alors véritablement se confier quelques heures avant que lui aussi ne goûte à la mort. Les cyniques accuseront ces complaintes de briser la noirceur totale posée dès le début. Je ne cache pas partager cet avis sauf que le choix du cinéaste a su faire mouche chez moi.
Si la storyline est plus que maîtrisée, "Tu ne tueras point" trouve aussi son identité formelle dans un cachet visuel particulier, austère et étrangement hypnotisant. Un monde noyé dans des couleurs verdâtres, où l'obscurité absorbe parfois près des 3/4 du cadre. Les filtres utilisés confèrent une force de caractère à cette oeuvre à mon sens un peu trop méconnue. Une oeuvre qui prêtera à débat et divisera indubitablement. Pour ma part, l'objectif est amplement accompli.