Lorsque se déclare la Guerre du Pacifique, Desmond Doss (Andrew Garfield) veut s’engager dans l’armée, mais refuse de prendre les armes, du fait de ses convictions chrétiennes et notamment par sa fidélité au commandement de Dieu : « Tu ne tueras point ». Ce faisant, il déclenche la haine et l’incompréhension de ses camarades et de ses supérieurs. Mais sa ténacité et son courage vont le mener jusque sur le champ de bataille, où il prouvera qu’il y a d’autres manières de s’illustrer au combat que par le maniement des armes...
Voir adapter la vie d’un objecteur de conscience (dénomination inexacte, d’ailleurs, puisque Doss lui-même refusera toujours d’être désigné par ce terme) au cinéma est toujours dangereux, le risque étant grand d’assister à un de ces innombrables films qui dénoncent la guerre pour sa soi-disante absurdité, et faisant montre d’un pacifisme sans nuances. Fort heureusement, c’est l'immense Mel Gibson qui se charge de cette adaptation, écartant ainsi tout risque de voir s’étaler à l’écran une propagande antimilitariste dénuée de sens autant que de fondement.
De fait, comme précisé ci-dessus, Desmond Doss n’accepta jamais d’être mis dans la case « objecteur de conscience », ce que cherche à faire la hiérarchie militaire afin de se débarrasser de ce soldat gênant. Car ce qui fait tout l’intérêt du film de Gibson, c’est d’avoir su restituer la grandeur de Doss avec la même justesse et la même subtilité qui lui firent dresser le plus beau portrait du Christ jamais vu à l’écran, douze ans auparavant, dans le trop controversé La Passion du Christ. Ici, toutefois, Gibson ne dresse plus le portrait d’un Dieu, mais bien celui d’un homme, avec ses doutes et ses faiblesses (quoiqu’on les verra très peu dépeintes dans le film).
Ce qui fait la grandeur de Doss, finalement, c’est ce qui fait celle de chaque vrai chrétien : sa foi, sa charité, et surtout son humilité. Car contrairement à des pacifistes moralisateurs qui se croient le droit de faire le procès de sociétés humaines entières, Desmond Doss ne juge pas. S’il refuse de prendre les armes, il ne remettra jamais en cause l’attitude de ses camarades, ni même celle de ses supérieurs. Jamais il ne se prononcera contre une guerre, certes meurtrière, mais qui défend les mêmes valeurs que lui. S’il n’estime pas de son droit de prendre les armes pour tuer son prochain, il estime en revanche de son devoir de soutenir son pays de la manière qu’il peut. Et cette manière consiste à sauver son prochain, au péril même de sa vie.
Ce service du prochain, il l’illustre sur le champ de bataille par un courage sans bornes, qui suscite l’admiration de tous ses camarades, et bien évidemment du spectateur, en tous cas, de celui capable de se rappeler qu’il a une âme. En effet, comment ne pas vibrer à l’unisson de cet homme qui court à travers le champ de bataille pour sauver le plus de vies humaines qu’il en est capable ? Comment ne pas pleurer au spectacle d’un homme qui emploie une nuit entière à sauver des hommes, et qui, à bout de souffle, puise son inextinguible courage toujours dans la même prière : "Seigneur, donne-moi la force d’en sauver encore un" ?
Pour mettre en scène avec une telle justesse une histoire aussi propice à l’incompréhension des esprits modernes, il fallait tout le talent d’un Mel Gibson, qui parvient à capter et restituer avec toute son âme l’attitude et la foi de ce héros peu commun, mais aussi le réalisme du champ de bataille, avec une violence constamment maîtrisée. Au niveau du casting, les acteurs habitent leurs personnages avec une rare intensité, et notamment un Andrew Garfield d’autant plus impressionnant au cœur de la tourmente qu’il ne se retient pas d’en faire trop dans la première partie du film, lorsqu’on nous fait assister à la romance de Desmond, malheureusement pas toujours dénuée de mièvrerie. Rupert Gregson-Williams n’est pas en reste, nous offrant une partition aux thèmes amples, accompagnant parfaitement les scènes de batailles, sans en rajouter dans le pathos.
On passe aisément sur quelques longueurs ou faiblesses narratives dans la première moitié du film pour garder de Tu ne tueras point l’image d’un film profond et marquant, qui, finalement, n’est pas autre chose que la suite spirituelle de La Passion du Christ. Dans ce dernier, Gibson nous montrait l’image d’un Dieu endurant toutes les souffrances pour sauver la vie de chaque homme. Dans Tu ne tueras point, le réalisateur ne fait rien d’autre que de nous montrer un de ses disciples accomplissant en tous points la conduite de son Seigneur et modèle, avec une confiance et une abnégation que, croyant ou non, on ne peut qu'admirer.